Alassane Ouattara, président de Côte d'Ivoire internationalement reconnu, a appelé jeudi soir à la réconciliation de tous les Ivoiriens, dans une allocution solennelle à la nation, faute d'avoir obtenu la reddition de son rival Laurent Gbagbo, qu'il veut soumettre à un blocus.

Alassane Ouattara prenait la parole pour la première fois devant les Ivoiriens depuis l'aggravation de la crise post-électorale en Côte d'Ivoire, qui a dégénéré en affrontements extrêmement violents entre les deux camps et plongé la capitale économique Abidjan dans l'effroi et le chaos.

Il a annoncé qu'«un blocus a été établi autour (du) périmètre» de la résidence présidentielle où Laurent Gbagbo «s'est retranché avec des armes lourdes et des mercenaires». L'objectif est «de sécuriser les habitants de ce quartier» d'Abidjan, a-t-il précisé dans ce discours télévisé.

Le nouvel homme fort de la Côte d'Ivoire, dont la victoire à l'élection présidentielle du 28 novembre a été reconnue par l'immense majorité de la communauté internationale, espère ramener le calme et la sécurité à Abidjan.

Il a indiqué avoir demandé aux responsables de ses forces «de prendre toutes les dispositions pour assurer le maintien de l'ordre et la sécurité des biens», ainsi que la liberté de mouvement dans le pays.

«Le couvre-feu sera allégé à partir de vendredi 8 avril en vue de permettre un retour progressif à la normalité», a aussi annoncé Alassane Ouattara, en appelant de ses voeux une «reprise de l'activité économique».

La ville est paralysée depuis plusieurs jours, et les habitants restent terrés chez eux.

Après l'impasse politique et l'enlisement militaire, Abidjan est confrontée à l'urgence humanitaire. Autrefois prospère, la ville est livrée aux pillards, les cadavres ne sont pas ramassés, le système de santé s'est effondré, l'eau et l'électricité sont souvent coupées et les réserves de nourriture baissent rapidement.

Lourdement armés, les fidèles de M. Gbagbo avaient réussi mercredi à repousser l'assaut des forces d'Alassane Ouattara, qui contrôlent désormais l'ensemble du pays. Laurent Gbagbo dispose encore d'«un petit millier» d'hommes à Abidjan, dont environ 200 à sa résidence transformée en bunker, selon le ministre français de la Défense, Gérard Longuet.

Mais au cours de leur progression rapide depuis le nord du pays, les combattants se réclamant d'Alassane Ouattara ont été accusés de crimes et de massacres à grande échelle, notamment dans la ville de Duekoué où plusieurs centaines de personnes ont été tuées le 29 mars, selon diverses agences humanitaires.

«La lumière sera faite sur tous les massacres et les crimes», a promis jeudi soir Alassane Ouattara. «Les auteurs des crimes seront sanctionnés», a-t-il insisté, demandant à ses troupes «d'être exemplaires dans leur comportement, de s'abstenir de tout crime, de toutes violences contre les populations ou de tout acte de pillage».

«J'invite tous mes compatriotes à s'abstenir de tout acte de vengeance», a-t-il aussi déclaré. «La Côte d'Ivoire est une et indivisible», a-t-il assuré, en s'engageant à être le président «de tous les Ivoiriens», qu'ils soient musulmans comme lui, chrétiens comme Laurent Gbagbo, ou d'une autre confession.

Cet appel à la réconciliation fait suite à de multiples pressions en ce sens, notamment de la France, ancienne puissance coloniale. Cela fait plusieurs jours que le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, avait annoncé qu'Alassane Ouattara allait s'exprimer pour appeler son peuple à l'unité afin de relancer la reconstruction du pays.

La situation sécuritaire restait extrêmement fragile jeudi à Abidjan. Plusieurs pays ont demandé à la France, qui dispose sur place d'une force de 1700 militaires, d'aider à l'exfiltration de leurs diplomates ou à l'évacuation de leurs ressortisssants.

Dans la nuit de mercredi à jeudi, l'ambassadeur du Japon et sept de ses collaborateurs ont été secourus par la force française Licorne dans ses bâtiments situés à proximité de la résidence de Laurent Gbagbo.

La France dit avoir alors «riposté» à des «tirs nourris des forces pro-Gbagbo». Mais selon une source militaire occidentale, durant près d'une heure et demie, elle «a profité de l'occasion pour traiter un maximum d'objectifs de façon à réduire le potentiel de résistance de la résidence».

Lundi, les hélicoptères français étaient entrés en action aux côtés de la mission de l'ONU en Côte d'Ivoire (environ 10 000 hommes) pour attaquer les derniers bastions de Gbagbo, détruire ses armes lourdes et protéger les civils.

Cette implication de la France fait polémique. Moscou a par exemple estimé que les troupes françaises et l'ONU se sont ingérées dans un «conflit intérieur» en Côte d'Ivoire.

Lors de son allocution jeudi soir, Alassane Ouattara a cherché à contourner l'instransigeance de son rival, dont le départ a été encore demandé par le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon. Il veut faire rapidement redémarrer l'économie de la Côte d'Ivoire, premier exportateur mondial de cacao.

«J'ai demandé que les sanctions de l'Union européenne sur le port d'Abidjan et San Pedro et sur certaines entités publiques du fait du régime illégitime de Laurent Gbagbo soient levées», a-t-il ainsi affirmé.