Il n'y a pas eu de vague géante. Ni de secousses atroces. Mais après trois semaines de déluge continuel, la moitié du Pakistan se retrouve sous les flots et le pays évoque de plus en plus la mythique Atlantide.

Hier, l'eau commençait enfin à redescendre. Mais sous les vagues, 14 millions de personnes ne trouveront plus que de la boue et des débris. À titre de comparaison, il y avait 5 millions de sinistrés après le tsunami et 3 millions en Haïti.

Les villages se sont transformés en lacs immenses. Et les collines sont devenues des îles qui émergent tout juste des flots boueux. Au sommet, des centaines de gens piégés et affamés.

Cette semaine, une équipe de Médecins sans frontières a failli être engloutie avec eux, raconte en entrevue le Dr Thomas Conan, chef de mission. «Dans tout le pays, c'est pareil. On voit de tout petits îlots, une population totalement encerclée et des hélicoptères qui déversent quelques bouteilles d'eau et paquets de nourriture. Ça paraît dérisoire, mais la population est encore tellement inaccessible et on aurait besoin de tellement de bateaux qu'il faut attendre pour pouvoir aider davantage.»

Depuis que le nord-ouest du pays a été touché, le 23 juillet, l'eau a fait son chemin jusqu'au sud-est. «Cela ne s'améliorera pas avant septembre. Tous les jours, il y a de nouvelles inondations et de nouveaux villages à évacuer», affirme Ted Itani, chef de l'équipe d'évaluation de la Fédération internationale de la Croix-Rouge au Pakistan.

Hier, les crues commençaient à se résorber. La saison des pluies doit toutefois durer encore deux ou trois semaines et rien n'est gagné. «Dans des villages, l'eau revient une deuxième, une troisième, une quatrième fois... constate le Dr Conan. On voit des populations qui, chaque jour, retournent vers ce qui était hier leur maison dans l'espoir de recevoir une aide qui n'arrive pas. Et elles trouvent un mètre d'eau dans les rues, alors qu'hier il n'y avait que 50 cm.»

D'autres fois, les secours arrivent dans des villages vides, dit-il: «Parfois les populations viennent juste de partir parce qu'elles ont eu peur.»

Évacués et abandonnés

Quand tout a commencé, des centaines de familles ont été englouties par les flots qui charriaient tout sur leur passage. Des routes d'asphalte ont été froissées comme du papier. Des ponts se sont effondrés. Des vagues ont avalé des maisons. Dans les barques, les gens s'entremêlaient comme dans des filets de pêche.

Les autorités évacuent rapidement les gens pour ne pas que s'alourdisse le bilan d'environ 1600 morts. Mais le danger demeure. Des femmes enceintes sont mortes parce qu'il leur était impossible de se rendre à l'hôpital, rapporte par exemple le Dr Conan.

«Si l'impact direct des inondations est limité, l'impact indirect est beaucoup plus lourd, prévient-il. La privation d'eau, de nourriture, de services de santé peut entraîner des risques beaucoup plus importants.»

Les enfants, surtout, se déshydratent vite. «Des bébés sont morts parce que leur mère n'avait pas mangé depuis une semaine et ne pouvaient plus allaiter. Il n'y a pas un coin sec pour s'asseoir, pas de protection contre le soleil ou la pluie», se désole Najma Sadeque, cofondatrice de l'organisation de défense des femmes Shirkat Gah. Son groupe est en contact avec plusieurs ONG et suit attentivement les bulletins d'une cinquantaine de chaînes de télévision pakistanaises.

«La désolation est à perte de vue. Il y a de l'eau jusqu'aux toits. L'armée n'est là que pour secourir les gens: ils sont évacués puis abandonnés sur la terre ferme», lui a notamment écrit Sadaf Junaid Uberi, du groupe Give a Home.

«Sept cents personnes s'entassent dans l'école secondaire, qui est à 75% inondée d'eau contaminée, continue le courriel de son correspondant. Elles commencent à boire cette eau, à contracter des maladies digestives et de peau. Il n'y a pas de médecins, pas de toilettes et des excréments partout.»

Tentes moisies

Que font les travailleurs humanitaires? Malgré toute leur bonne volonté, l'eau complique leur travail, explique Ted Itani de la Croix-Rouge. «Le pire pour nous, c'est justement de ne pas avoir accès aux gens», dit-il.

Quand les camions de la Croix-Rouge s'enlisent et doivent rebrousser chemin, ses travailleurs distribuent de l'eau et des vivres à dos de mulets. Médecins sans frontières loue d'autres camions pour transporter des citernes d'eau et distribuer des bâches de plastique, des seaux, des ustensiles, du savon.

L'armée pakistanaise a installé plusieurs campements, mais la Croix-Rouge a perdu 20 000 tentes. «Un entrepôt de 20 pieds de haut a été inondé jusqu'au plafond, explique Ted Itani. Avec la chaleur et l'humidité, les tentes qui s'y trouvaient ont vite commencé à moisir.

Pour en obtenir de nouvelles, ça prend des semaines ou des mois. Il faut en commander, mais on ne peut le faire sans argent à la banque. Et même si les pays promettent des fonds, on ne peut signer de contrat tant qu'on ne les a pas obtenus.»

Les Nations unies estiment que 460 millionsUS sont requis simplement pour assurer l'aide humanitaire. En date de jeudi, le Canada avait promis 1,9 million, l'équivalent de 6 cents par Canadien. Cela en fait, toutes proportions gardées, l'un des pays les moins généreux face à ce désastre. À 7 cents par habitant, les Américains ne font guère mieux. Plusieurs pays européens donnent de 5 à 10 fois plus.

Ramadan forcé

D'après Ted Itani, dès qu'ils le pourront, les Pakistanais retourneront semer dans leurs champs. Les récoltes détruites (céréales, canne à sucre et riz) valaient plusieurs milliards de dollars.

En attendant, vu la rareté des denrées et les routes impraticables, le prix des aliments a déjà triplé dans certaines zones. «Pendant des semaines, il faudra fournir de la nourriture préparée parce qu'il n'y a pas de coin de terre sec où faire un feu, pas de bois sec, pas d'ustensiles, pas de contenants, prédit Najma Sadeque. Je ne peux pas imaginer que la vie reprenne son cours avant au moins un an, dit-elle. Les gens n'ont plus que leurs vêtements sur le dos.»

«Le désastre a pris des proportions bibliques, dit-elle, comme si la nature voulait éliminer toute vie dans les zones riveraines.»

Les Pakistanais musulmans devaient commencer cette semaine le ramadan, qui les oblige à jeûner de l'aube jusqu'au crépuscule. Des personnalités religieuses en ont dispensé les sinistrés cette année.

Selon Mme Sadaque, faute d'assistance, plusieurs n'auront quand même pas le choix de l'observer pendant encore plusieurs jours. Et ils continueront d'avoir faim, même après le coucher du soleil.