Cheveux argent abondants, yeux bleus limpides, Jean Cauchy est assis dans le confort d'une maison patrimoniale de Lévis. Le regard, la voix, le sourire, tout semble doux chez lui. Il faut l'imaginer 65 ans plus tôt, aux commandes d'un bombardier Halifax, un lourd quadrimoteur britannique capable de porter une charge de 7500 kilos de bombes.

Jean Cauchy ne rêvait pas d'être pilote. C'était le rêve de son frère aîné, qui s'était engagé dans ce but. Plutôt désigné mitrailleur, il est mort en mission en mai 1942. «À cette époque, quand il y avait un décès, la famille criait vengeance», explique Jean Cauchy. Il a pris le relais de son frère et s'est engagé à son tour. À force d'entêtement, il a obtenu ses ailes en janvier 1944 - «un des plus beaux jours de ma vie», dit-il.Première mission

En novembre 1944, première mission de bombardement sur l'Allemagne. Les Américains bombardaient de jour, les Anglais et les Canadiens de nuit. «Ce n'était pas de la peur, décrit Jean Cauchy, mais je me posais des questions : qu'est-ce qui va arriver ?»

En file sur le tarmac, son avion est le prochain à décoller. Devant lui, en bout de piste, une boule de feu s'élève. Le bombardier qui le précédait s'est écrasé au décollage. Dur moment pour Jean Cauchy : c'est avec ce pilote, Desmarais, qu'il venait de faire sa mission d'entraînement.

«Les gars de l'équipage m'ont demandé : skipper, penses-tu être capable ? J'ai dit : faites-moi confiance. Mais je respirais vite et j'ai immédiatement fermé le micro, pour ne pas qu'ils s'en aperçoivent.» C'est lui qui avait choisi ses six hommes d'équipage, qui remettaient leur vie entre ses mains.

Difficile de faire décoller ce mastodonte surchargé, qui semble rebondir sur ses deux énormes pneus. «Je craignais qu'un pneu éclate, raconte-t-il, mais ce n'est jamais arrivé.». Il faut abaisser les volets, pour augmenter la portance au décollage. Puis les relever à mesure que l'appareil prend de la vitesse et de l'altitude. Dans son salon, Jean Cauchy, assis sur son canapé, tâtonne de la main droite dans le vide, à l'endroit où se trouvait la commande des volets, tout à côté de celles de la soute à bombes et du train d'atterrissage. «Il ne fallait pas les confondre», dit-il. Peut-être l'ingénieur de Desmarais avait-il touché une commande par accident, suppose-t-il...

Jean Cauchy ne s'est pas rendu en Allemagne, cette nuit-là. Un moteur est tombé en panne au quart de la route et il a dû rebrousser chemin.

Dernière mission

Pour sa sixième mission, le 5 janvier 1945, Jean Cauchy a reçu un autre Halifax, le sien étant trop mal en point. Il se méfiait de cet appareil déjà durement éprouvé. Les aviateurs sont superstitieux. Leur survie est souvent une question de hasard : l'obus évite un appareil mais en touche un autre. Certains avions, certains hommes amènent la chance, d'autres non. Au décollage, Jean Cauchy observe que le tuyau d'échappement est chauffé au rouge. Mauvais. Ce sera comme une cigarette allumée dans la nuit : une cible. «J'ai pensé : ça va être notre fête ce soir.»

Et en effet, quelques minutes avant l'objectif, un obus antiaérien éclate sous le bombardier. «L'appareil a été soulevé comme une feuille de papier», se rappelle Jean Cauchy. Ce n'était que le début.

Quelques secondes plus tard, explosion sur l'aile droite. Un Messerschmitt 262, le premier chasseur à réaction opérationnel au monde, l'a touché.

Rien à faire, l'incendie se propage. Les cris fusent. Il donne l'ordre de sauter, mais il reste aux commandes pour maintenir l'assiette de l'appareil. Avant de les suivre lui-même, il s'assure que son mitrailleur central, un jeune de 19 ans, a bien quitté l'appareil : il lui avait déjà avoué qu'il craignait de sauter et qu'il n'en serait pas capable. Il n'est plus là. Jean Cauchy s'extrait difficilement à son tour, alors que son Halifax tombe en vrille.

L'air glacé le fouette. Il tend la main, il n'arrive pas à joindre la poignée d'extraction du parachute, son geste est lent, beaucoup trop lent, et la chute se poursuit. Il comprendra plus tard que le manque d'oxygène, dans son appareil en perdition en haute altitude, a énormément ralenti ses réactions. Après une éternité, il parvient à saisir et à tirer la poignée. «Je sens encore le contact du métal sur mes doigts», relate Jean Cauchy, en tendant sa main droite vers son épaule gauche. Son parachute se déploie. Il ne sait pas si le sol est proche. Il traverse un nuage et c'est le choc : ce nuage était en fait une couche de brume sur la terre. «Comme je ne m'y attendais pas, je ne m'étais pas raidi et j'ai tombé parfaitement.»

Il oriente sa marche nocturne vers le nord, suivant la direction des bombardiers qui retournent à leur base. Au petit matin, il est surpris par deux soldats allemands qui surgissent d'un bois. Prisonnier.

Il est interrogé à huit reprises. Un officier allemand lui apprend que les hommes de son équipage sont indemnes, sauf deux blessés à l'hôpital. Mais un cillement, sur le visage imperturbable de cet officier stylé, laisse croire à Jean Cauchy que ces deux hommes - dont le mitrailleur qui ne voulait pas sauter - sont morts.

«L'officier m'a dit que nous étions chanceux de ne pas avoir été lynchés par les civils», poursuit Jean Cauchy. Les populations bombardées faisaient quelquefois un mauvais parti aux aviateurs qu'ils capturaient avant les autorités. «C'est ce qui me laisse croire que mes deux gars ont été lynchés.»

Jean Cauchy a été libéré à la fin de la guerre.

«Je pense à eux souvent.»