En 1994, l'évêque auxiliaire de Sydney, Geoffrey Robinson, a été chargé de coordonner le dossier des agressions sexuelles commises par des prêtres en Australie. Cette mission a ravivé en lui des blessures d'enfance. Et elle l'a amené à remettre en question l'Église telle qu'il la connaissait, du célibat clérical au Credo de Nicée, en passant par l'infaillibilité papale. Quelques semaines avant Noël paraissait en français le livre qu'il a tiré de ses réflexions, Le pouvoir déviant.

«Benoît XVI a mieux réagi que Jean-Paul II aux histoires d'agressions sexuelles», explique Mgr Robinson en entrevue téléphonique. «Il a notamment rencontré des victimes. Il n'a pas hésité à revoir le traitement de ce type de plaintes, avant même de devenir pape. Mais il n'admet toujours pas que le fonctionnement même de l'Église est problématique. Il a attribué ces crimes à la sécularisation de la société. Ce n'est pas la cause principale. Il a parlé d'un crime commis contre Dieu, alors que les victimes sont des innocents. Il aurait dû inviter les victimes à se manifester et surtout, demander publiquement pardon.»

Le célibat n'est pas selon Mgr Robinson la cause des agressions sexuelles. Mais il contribue à fragiliser émotionnellement les prêtres. «Le problème, c'est le célibat obligatoire. Mère Teresa, par exemple, a choisi le célibat. Les prêtres arrivent trop jeunes au séminaire. Il faudrait attendre la fin de la vingtaine. S'ils ne sont pas arrivés à la maturité d'adulte quand ils font ce choix, ils peuvent développer une misogynie ou encore un complexe messianique qui les fait se sentir supérieurs aux laïcs. Et remettre publiquement en question le célibat permettrait de redonner confiance aux fidèles.»

Pour ce qui est du Credo de Nicée - le «Je crois en Dieu» -, le problème est qu'il est trop «intellectuel», selon Mgr Robinson. «En faire la base de la foi fait oublier que croire, c'est surtout aimer, au-delà des formules. Il vaudrait mieux se concentrer sur la discussion des deux écueils qui menacent tout chrétien: l'oubli de soi et l'amour inconditionnel de soi. Il faut établir un équilibre entre ces deux principes, s'accomplir tout en portant sa croix.»

Selon John Allen, le vaticaniste de l'hebdomadaire américain The National Catholic Reporter, Mgr Robinson est «l'évêque dissident le plus visible ces derniers temps». Il a pris sa retraite de l'archidiocèse de Sydney en 2004, à l'âge de 71 ans. Habituellement, quand un évêque en bonne santé prend sa retraite avant l'âge de 75 ans, sa démission est refusée par le Vatican. Mgr Robinson a publié son livre en anglais en 2008.

Avant de faire une série de conférences aux États-Unis, après la publication du livre, Mgr Robinson a reçu une lettre du préfet de la Congrégation pour les évêques lui demandant d'annuler son voyage, parce que les personnes l'ayant invité n'étaient «pas en communion avec l'Église». Parmi ses hôtes se trouvait notamment Thomas Gumbleton, un ancien évêque auxiliaire de Detroit qui avait fait scandale dans les années 90 en faisant coudre sur sa mitre un triangle rose, pour souligner son appui aux homosexuels.

«Je sais que mes commentaires ne conviennent pas au Vatican depuis 1996, quand j'ai reçu les premières lettres sur ce sujet, dit Mgr Robinson. Mais ils ne veulent pas trop faire de vagues. Je peux encore célébrer la messe, par exemple.» De même, le Vatican avait attendu que Mgr Gumbleton atteigne l'âge canonique de la retraite pour lui enlever sa charge - mais pas son titre - d'évêque.

Mgr Gumbleton avait aussi été critique de la réponse de l'Église face aux agressions sexuelles commises par des prêtres. À noter, les deux évêques dissidents ont publiquement révélé avoir été agressé sexuellement durant leur enfance, par un prêtre dans le cas de Mgr Gumbleton et par un étranger non lié à l'Église dans le cas de Mgr Robinson.