À moins d'une surprise de dernière minute, le premier tour du scrutin présidentiel français qui se tient dimanche débouchera sur un duel entre le chef d'État sortant, Nicolas Sarkozy, et son adversaire socialiste, François Hollande. Deux hommes aux antipodes tant par leur style que par leur stratégie, raconte notre correspondant à Paris.

Bien que la fin reste à écrire, la première phase de la campagne présidentielle française de 2012 semble faire écho à la fable de La Fontaine sur le lièvre et la tortue en mettant en présence deux adversaires aux approches diamétralement opposées.

Le candidat socialiste François Hollande, crédité d'une large avance dans les sondages pour le second tour du scrutin, est demeuré sur une ligne constante au cours d'une intense campagne de terrain après avoir mis de l'avant une liste de 60 propositions mûrie de longue date.

L'ancien premier secrétaire du Parti socialiste, transformé physiquement par un régime draconien, ne figurait pratiquement nulle part dans les pronostics politiques il y a un an, malgré ses déclarations d'intention. Mais l'écrasement du favori, Dominique Strauss-Kahn, emporté par une retentissante affaire de moeurs, a ouvert le jeu et lui a permis de s'imposer dans son camp.

Contrairement à son ex-femme Ségolène Royal, candidate défaite de l'élection présidentielle de 2007, il a su réunir par la suite les différents courants du parti pour le soutenir.

Lors d'une récente rencontre avec des journalistes à laquelle a assisté La Presse, le candidat affichait un ton qui se voulait consensuel et rassembleur, loin des saillies chères à son principal adversaire, et usait souvent d'humour pour désamorcer les situations.

Il a notamment rappelé à un scribe exprimant son affection pour le candidat d'extrême gauche Jean-Luc Mélenchon qu'il «ne faudra pas voter pour lui» s'il n'est pas présent au second tour.

François Hollande, qui répète sans cesse en entrevue ne «pas savoir» qui va gagner l'élection, dit s'inspirer de l'ancien président socialiste François Mitterrand. Au point d'ailleurs de copier la gestuelle du défunt politicien dans ses discours.

Les Français l'estiment plus sympathique que Nicolas Sarkozy mais moins présidentiable, ce qui ne l'émeut pas outre mesure puisque le caractère présidentiel, ironise-t-il, vient, lui, avec la fonction.

Les partisans socialistes rencontrés par La Presse ne manifestent pas de passion particulière à son égard, mais le déclarent «sérieux», «honnête» et «digne de confiance» à la lumière de son long passé politique au sein de la gauche.

«Après cinq ans d'excès sarkozystes, je pense que son style modéré le sert», a souligné dimanche un militant croisé lors d'un rassemblement dans l'est de Paris.

Nicolas Sarkozy, qui a cherché à retarder le plus possible son entrée officielle dans la course, n'a cessé, une fois lancé, de mettre de l'avant son volontarisme et son énergie devant un opposant décrit comme «mou» et timoré.

«Deux semaines à fond et après on accélère», a-t-il récemment lancé dans le Var. Jeudi, il a insisté dans un autre rassemblement à Saint-Maurice, en périphérie de Paris, sur sa détermination à «courir le plus vite possible l'épreuve».

Les propositions se sont succédé à grande vitesse, sur des questions très variées. D'emblée, le candidat a voulu, comme en 2007, courtiser le vote d'extrême droite en évoquant la problématique de l'immigration et des frontières par une sortie à tonalité protectionniste lors de son premier grand rassemblement, à Villepinte.

La tuerie de Toulouse, oeuvre d'un djihadiste de 23 ans, a donné ensuite une visibilité accrue au chef d'État en ramenant du même coup sous les projecteurs la sécurité, l'un de ses thèmes de prédilection, sans créer d'avantage déterminant.

Le politicien a réussi pour un temps à passer devant François Hollande dans les sondages pour le premier tour, mais plusieurs études des derniers jours indiquent que le socialiste a repris la tête tout en maintenant un avantage marqué pour la phase finale.

Un blocage qui, de l'avis de plusieurs analystes, reflète la profondeur du courant antisarkozyste existant en France après cinq ans de mandat. Jérôme Fourquet, de l'institut Ifop, relève qu'aucun président sortant, depuis 50 ans, n'a eu une cote de popularité aussi basse à quelques jours de l'élection.

«Il avait un lourd handicap parce que c'est le candidat sortant. Les gens sont beaucoup plus exigeants avec lui», relève Yves Talens, partisan du président venu l'entendre à Saint-Maurice.

«On lui reproche de ne pas avoir tout fait ce qu'il avait promis, mais personne n'avait prévu la crise financière», souligne l'homme de 65 ans, qui se félicite du fait que le président a tenu bon sur des réformes sensibles comme celle des régimes de retraite.

Nicolas Sarkozy attribue son blocage récent à la règle d'égalité de temps de parole régissant depuis deux semaines les médias audiovisuels. Il blâme aussi les journalistes, présentés comme les représentants biaisés d'une élite coupée du «peuple». «Ils sont tous de gauche», a crié jeudi une vieille dame qui approuvait chaque phrase du président d'un tonitruant «Exactement!».

À la sortie de la salle, les avis étaient partagés sur l'intervention du chef d'État, qui a serré quelques mains aux cris de «Nicolas! Nicolas!» avant de repartir.

«Il a l'air très fatigué», a confié une vieille dame. Une autre de ses admiratrices, Paulette Laurier-Boniface, s'est dite impressionnée par l'énergie du politicien. «Personne ne peut lui enlever ça. Je me demande combien d'heures par nuit il dort», a déclaré la femme de 70 ans.

Selon Le Canard enchaîné, plusieurs ténors de la droite ne croient plus du tout aux chances de victoire de leur candidat, mais lui ne laisse pas percer le moindre doute.

«Notre énergie, notre volonté, notre rassemblement renverseront les montagnes de papier qu'ils veulent dresser devant vous, devant nous, devant moi», a-t-il déclaré à ses partisans.

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Nicolas Sarkozy > Union pour un mouvement populaire (UMP)

57 ans, né le 28 janvier 1955 à Paris. Avocat d'affaires de profession. Successivement ministre du Budget, de la Communication et de l'Intérieur, il a été élu président le 6 mai 2007 avec 53 % des voix.

François Hollande > Parti socialiste

57 ans, né le 12 août 1954 à Rouen. Diplômé de l'École nationale d'administration (ENA). Premier secrétaire du Parti socialiste de 1997 à 2008.

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Marine Le Pen en force?

Le Front national, sous la direction de Marine Le Pen, fille du sulfureux Jean-Marie Le Pen, était au plus haut dans les sondages à la fin de l'année dernière. Au point de faire craindre une reprise du scénario-choc de 2002 dans lequel le représentant de la formation d'extrême droite s'était qualifié au second tour. Les plus récents sondages indiquent que le parti, souvent sous-évalué dans les intentions de vote, n'est pas en position de créer cette fois une telle surprise, car il a perdu du terrain pendant que la candidate insistait sur la crise économique et l'influence néfaste de l'Europe avant de se recentrer sur l'immigration et la laïcité. Un score à 16 % ou 17 % constituerait néanmoins une forte performance pour le Front national, qui s'était retrouvé au plus bas après la victoire électorale de Nicolas Sarkozy en 2007. Le candidat avait alors fait campagne avec succès sur plusieurs thèmes sensibles pour l'extrême droite, et avait aspiré une part importante de son électorat. Il a suivi une technique similaire cette année avec des résultats plus mitigés.

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Le phénomène Mélenchon

Le candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, a progressivement réussi à grimper jusqu'à 15 % dans les intentions de vote. Il a doublé son score en quelques mois. Ses appels enflammés à «l'insurrection civique», assortis de promesses visant à revaloriser le salaire minimum et à imposer les riches, ont touché une corde sensible dans une population fragilisée par la crise économique des dernières années. L'ancien sénateur socialiste espère utiliser son poids électoral pour peser sur les orientations d'un hypothétique gouvernement socialiste, mais prévient d'emblée qu'il n'y participera pas. Il affirme également que les membres du Parti communiste, représentés par le Front de gauche, refuseront aussi d'y siéger, ce qui n'est pas confirmé. La droite espère qu'une forte performance de l'extrême gauche inquiétera les électeurs centristes et les poussera à se rallier à Nicolas Sarkozy entre les deux tours.

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Bayrou en faiseur de roi?

Le candidat centriste François Bayrou avait créé l'événement au cours de la campagne présidentielle de 2007 en s'imposant comme le troisième homme, après avoir récolté 18 % des voix au premier tour. Il avait ensuite refusé les propositions de la candidate socialiste Ségolène Royal, qui avait besoin de son soutien pour avoir une chance de battre Nicolas Sarkozy. Cinq ans plus tard, il n'a pas réussi à retrouver le même niveau dans les sondages. Il plafonne autour de 11 %. Bien que le vote centriste soit réduit, il a une importance capitale pour le président sortant, qui doit compenser le fait que les intentions de vote à gauche sont sensiblement plus élevées que celles de la droite au premier tour. Des proches du président ont laissé entendre dans ce contexte que François Bayrou pourrait faire un bon premier ministre, mais le principal intéressé semble déterminé à conserver son indépendance, tant par rapport à la droite qu'à la gauche, dont il fustige le programme économique.

Les écologistes en forte baisse

Les écologistes, qui avaient obtenu de solides scores à l'occasion des élections européennes et régionales françaises, n'auront rien pour pavoiser à l'issue du scrutin de demain. La campagne de la candidate d'Europe Écologie Les Verts (EELV), Éva Joly, une ex-juge d'instruction qui s'est surtout fait connaître en France par son engagement dans la lutte contre la corruption, n'a jamais décollé auprès de la population. Elle obtient 2 % des intentions de vote. La politicienne d'origine norvégienne a beaucoup insisté sur les affaires judiciaires. Elle s'est au passage fait reprocher par certains militants de négliger les enjeux environnementaux, peu présents au cours de la campagne. EELV a conclu, avant l'ouverture des hostilités, une entente avec le Parti socialiste qui devrait lui permettre d'occuper une place conséquente à l'Assemblée nationale après les élections législatives prévues en juin.

20 h

La loi électorale française interdit toute diffusion de résultats le jour du vote avant la fermeture des

bureaux de scrutin à 20h, heure de Paris (14 h à Montréal), mais plusieurs médias étrangers promettent de publier les premiers sondages de sortie des urnes dès 18 h 30 (12 h 30 à Montréal) sans égard à ces restrictions.