«Si quelqu'un agit comme ça en Jamaïque, d'où je viens, la police va l'abattre. Et sa famille devra rembourser le coût des balles avant de célébrer les funérailles. Ici, en Angleterre, c'est l'autre extrême. Il y a une telle tolérance!»

Résidante de Tottenham, à Londres, Maria Newman s'emporte en constatant les dommages qu'ont causés les émeutiers dans son quartier depuis samedi.

Autour d'elle, plusieurs voisins l'approuvent. Ils auraient souhaité que la police utilise la manière forte pour mater les casseurs.

Ils ne sont pas les seuls. Le premier ministre David Cameron a demandé publiquement à la police d'utiliser des tactiques «plus robustes» et de ne pas se laisser arrêter par de «fausses préoccupations quant aux droits de la personne».

Le gouvernement a d'ailleurs approuvé exceptionnellement l'usage de gaz irritants, de canons à eau et de balles de plastique pour disperser la foule.

Les balles de plastique, qui ont causé la mort d'une quinzaine de personnes en Irlande du Nord, n'ont jamais été employées en Angleterre. Le recours à un tel arsenal serait un changement radical pour les agents de Scotland Yard , dont l'immense majorité ne porte même pas d'arme à feu.

Gentillesse et politesse

Ce corps policier réputé dans le monde entier pour son efficacité est aussi célèbre pour son approche communautaire et son usage minimal de la force. Il s'enorgueillit aussi de la gentillesse et de la politesse des fameux «bobbies», coiffés de leur casque caractéristique.

«Oui, ils sont gentils, mais on ne veut pas être trop gentils alors que des gens brûlent tout! Nous sommes devenus mous!» rage Byron Truvalian, un chauffeur de taxi qui s'est retrouvé pris au milieu des débordements, lundi.

Les policiers, eux, ne sont toutefois pas prêts à abandonner du jour au lendemain leur approche modérée.

«Le travail de police en Grande-Bretagne est basé sur le consentement et l'usage minimum de la force. Nous ne voulons pas créer une distance avec le citoyen», insiste l'attaché de presse de Sir Hugh Orde, président de l'Association des chefs de police, en entrevue à La Presse.

«Notre position, c'est que nous n'avons pas besoin des canons à eau et des balles de plastique, qui créent une distance entre la police et les gens qui font du désordre. Nous faisons face à de petits groupes qui bougent rapidement. La solution est de les arrêter pour les retirer de la rue», explique le porte-parole.

Retraité de la Sûreté du Québec et aujourd'hui président de la société CFL Solutions, spécialisée en services de sécurité publique, Roger Chartrand croit lui aussi que ce serait une erreur que de durcir le ton envers les émeutiers.

«Utiliser des balles de caoutchouc, c'est correct, mais dans des circonstances précises. Ici, on ne veut pas commettre une autre bourde. Si les policiers blessent gravement ou tuent un manifestant, on va jeter de l'huile sur le feu», prévient-il. Les émeutes ont en effet débuté après que des policiers armés eurent abattu un jeune homme qu'ils tentaient d'arrêter.

Une bière plutôt que des armes

Pour le moment, les 16 000 agents déployés à Londres pour ramener l'ordre semblent vouloir conserver leur image sympathique de policiers communautaires. Dans tous les quartiers, on peut les voir discuter calmement avec les citoyens.

«Je suis obligé d'être ici, j'ai dormi seulement trois heures et on ne nous paie pas les heures supplémentaires. Dans environ une heure, je crois que je pourrais devenir grognon», lance en riant un agent affecté au secteur chaud de Tottenham.

La plupart se préparent à travailler encore de longues heures. Mercredi soir, l'immense quartier général de Scotland Yard avait des airs d'immeuble abandonné alors que pratiquement tous les agents étaient déployés sur le terrain.

S'ils n'ont pas besoin de nouvelles armes, de quoi ses hommes ont-ils besoin? a demandé La Presse à un officier.

«De quoi ils ont besoin maintenant? Probablement d'une bière!», a-t-il répondu.

- Avec la collaboration d'Ariane Lacoursière