Quatre jours après l'exil du président Ben Ali, un gouvernement dit «d'unité nationale» a été mis sur pied. Cette nouvelle administration, qui accorde une place inédite à l'opposition, ne fait pourtant pas l'unanimité.

La radio avait à peine eu le temps de relayer les noms des membres du gouvernement de transition tunisien, hier, que déjà Sonbol Aziz et ses amis savaient ce qu'ils avaient à faire: braver les règles de l'état d'urgence pour manifester.

Depuis le départ, vendredi, du président Zine el-Abidine Ben Ali, qui a régné sans partage pendant 23 ans, les attroupements de plus de trois personnes sont interdits en Tunisie, où l'armée et la police essaient de rétablir l'ordre. Mais beaucoup de jeunes comme Sonbol Aziz en font peu de cas.

«Plus personne ne nous empêchera de dire ce que nous avons à dire. Et là, ce que nous voulons dire, c'est que, maintenant qu'on a mis (le président) Ben Ali dehors, nous ne voulons plus de son parti non plus», a lancé le jeune homme. Avec une cinquantaine de ses pairs, il a pris part à une manifestation spontanée dans l'artère principale de Kram, en banlieue nord de la capitale.

Cette rue en a vu d'autres au cours de ce que les Tunisiens appellent maintenant «la révolution du Jasmin»: plusieurs voitures brûlées y ont été laissées à l'abandon et quelques commerces liés à la famille de l'ex-président y ont été saccagés.

Manifestations multiples

Sonbol Aziz et ses amis n'ont pas été les seuls à descendre dans la rue, hier. Des manifestations semblables ont eu lieu au centre-ville de Tunis et dans plusieurs autres villes, dont Sidi Bouzid, d'où est parti le soulèvement populaire.

À Kram, les protestataires ont repris en les modifiant les slogans des manifestations des dernières semaines. Au lieu de demander le départ de l'ex-dictateur, ils ont demandé hier la tête du premier ministre, Mohammed Ghannouchi, et l'abolition de son parti, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Lors de son accession au pouvoir, en 1987, le clan Ben Ali avait muselé l'opposition, si bien que le RCD a régné en parti unique pendant plus de 20 ans.

Transition de deux mois

À la demande de Fouad Mebazza, l'ex-président du Parlement, qui occupe provisoirement le siège de la présidence tunisienne, Mohammed Ghannouchi a formé hier un gouvernement «d'union nationale» qui doit mener le pays à des élections en moins de deux mois.

Dans le nouveau cabinet, 3 des 19 ministres sont des visages bien connus de l'opposition tunisienne. Néjib Chebbi a été nommé ministre du Développement régional, Ahmed Ibrahim est devenu ministre de l'Enseignement supérieur et Mustapha Ben Jaafar s'est vu confier le ministère de la Santé. Des personnalités de la société civile ont aussi hérité de portefeuilles.

Cependant, six postes clés sont restés aux mains du RCD, dont le ministère des Affaires étrangères (Kamel Morjane), celui de l'Intérieur (Ahmed Friaa) et celui de la Défense (Ridha Grira).

Ce sont ces nominations qui ont soulevé l'ire des manifestants. «On ne veut plus du RCD. Tant que le cancer est dans le corps, la Tunisie va être malade», a dit à La Presse Rami Moalla, rencontré dans une autre manifestation sur l'avenue Bourguiba, au centre de Tunis.

Deux autres opposants politiques bien connus actuellement en exil ont eux aussi appris avec colère la composition du nouveau gouvernement. Leader islamiste dont le retour en Tunisie est attendu aujourd'hui, Rachid Al-Ghannouchi a qualifié l'annonce d'«aliénation délibérée des islamistes». Chef du Congrès pour la République, Moncef Marzouki, qui est à la tête d'un parti de gauche laïque, a qualifié l'affaire de «mascarade».

Plusieurs Tunisiens rencontrés hier estimaient cependant que la présence du RCD dans le gouvernement est un mal nécessaire.