Depuis le départ de l'ex-président tunisien et de sa femme, leur fortune phénoménale alimente toutes les conversations en Tunisie. Hier, la Suisse a annoncé qu'elle gèlerait les avoirs du clan Ben Ali. Et la justice tunisienne a ouvert une enquête sur son enrichissement accéléré alors qu'on a annoncé que 33 membres de la famille du président déchu ont été arrêtés. Déjà, la population tunisienne, qui a subi les excès de la famille de l'ancien dictateur pendant 23 ans, en a long à dire, comme a pu le constater notre journaliste.

Les habitants de La Goulette, petit port de pêche près de Tunis, s'entendent sur une chose: leur ville était un paradis jusqu'à ce que le diable s'en mêle. Et le diable, chez eux, portait le nom d'Imed Trabelsi, le neveu préféré de la femme de l'ex-président Ben Ali, Leïla Trabelsi.

En mai 2010, ce dernier est devenu maire de la petite commune, connue pour ses restaurants de poissons, mais aussi pour son vieux quartier du Bratel, où ont longtemps cohabité paisiblement juifs, chrétiens et musulmans.

Avant même d'en être «élu» maire, il y régnait en roi. Au point où il a complètement anéanti la ville qu'ils aimaient et pris possession de plusieurs de ses joyaux, expliquent les résidants. «Vous voyez la grande terrasse, devant nous? Ça lui appartenait. Et les grands immeubles, là-bas? À lui aussi. Il les a pris par la force avec les méthodes mafieuses dont il était l'expert», raconte Jamil Najjar, que La Presse a croisé près de la jolie place principale de La Goulette, toute de bleu et de blanc.

«Il est foutu, le charme de La Goulette, ajoute son ami Nizar Sebai avec une moue dégoûtée. Si tu marches 200 mètres par là, tu vas voir un pseudo-parc qui a remplacé le quartier du Bratel, qu'Imed Trabelsi a rasé pour y construire un complexe commercial.»

Si les deux Tunisiens dans la vingtaine se sont joints aux manifestations des dernières semaines, c'est notamment pour dénoncer la corruption - cautionnée par le régime Ben Ali - dont ils étaient témoins quotidiennement.

Poignardé à mort

Aujourd'hui, les habitants de La Goulette parlent d'Imed Trabelsi comme d'un mauvais souvenir. La semaine dernière, alors que se déroulait le grand soulèvement populaire qui a mené au départ du président Zine el-Abidine Ben Ali, Imed Trabelsi a été poignardé. Il est mort à l'hôpital militaire de Tunis vendredi dernier, jour de la fuite de son oncle et de sa tante vers l'Arabie Saoudite.

On ignore qui est son meurtrier - les rumeurs parlent d'un règlement de comptes -, mais la nouvelle, en Tunisie, n'a pas fait couler de larmes. Avec sa tante Leïla Trabelsi, une coiffeuse que Ben Ali a épousée en 1992 et qui est depuis devenue richissime, Imed Trabelsi était l'être le plus haï de toute la Tunisie. Il personnifiait les pires excès de sa famille élargie, que les observateurs de la Tunisie décrivent comme un clan «quasi mafieux».

Partout où il se rendait, Imed Trabelsi inspirait la peur. «Il venait à l'hôtel où je travaillais avec des filles différentes chaque soir. Il ne respectait aucune règle, demandait n'importe quoi à n'importe quelle heure. Nos patrons, morts de trouille, nous disaient de nous exécuter», témoigne Ahmed, un serveur qui a maintes fois eu affaire à celui qu'il appelait «le play-boy».

Les frasques d'Imed Trabelsi étaient aussi connues à l'étranger. Dans un des câbles diplomatiques rendus publics par WikiLeaks, on a appris que les États-Unis connaissaient l'ampleur de la corruption en Tunisie et de la colère qu'elle attisait dans la population tunisienne. «Que ce soit de l'argent, des services, des terres ou même, oui, votre yacht, la famille du président Ben Ali a la réputation de tout vouloir et de faire le nécessaire pour l'obtenir», a écrit l'ambassadeur Robert Godec alors qu'il était en poste à Tunis.