19 janvier 1969, place Venceslas, à Prague. L'étudiant Jan Palach s'immole par le feu pour protester contre les troupes soviétiques qui viennent d'envahir son pays.

Vingt ans plus tard, des dissidents tchèques commémorent son geste, contribuant ainsi à la série d'événements qui finiront par faire éclater l'empire soviétique. En quelques mois, celui-ci s'écroule tel un château de cartes.

Difficile de ne pas repenser à Jan Palach en suivant les turbulences qui agitent aujourd'hui le monde arabe. Après tout, c'est l'immolation d'un jeune chômeur qui déclenché la révolte des Tunisiens. Une douzaine d'autres désespérés ont, depuis, tenté de se suicider par le feu dans des pays de la région où des régimes qui paraissaient immuables montrent aujourd'hui des signes de fragilité.

L'année 2011 sera-t-elle pour le monde arabe ce que 1989 a été pour l'ancien bloc de l'Est? Il y a des similitudes entre les deux phénomènes. Mais aussi, quelques différences.

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Comme en Europe de l'Est, la révolte tunisienne est le résultat combiné d'un cul de sac économique, doublé d'une soif de liberté. En Tunisie, l'onde de choc de la crise économique européenne a propulsé le taux de chômage vers de nouveaux sommets. Cette crise frappe de plein fouet les classes moyennes. Du coup, «les revendications de tous les secteurs de la société se rejoignent», signale l'historienne franco-tunisienne Sophie Bessis, qui voit un écho de 1989 dans les événements qui agitent son peuple. Ainsi, comme autre fois en Pologne ou en Allemagne de l'Est, «la révolte tunisienne est le fait de tout un peuple qui aspire à être enfin traité en adulte.»

Les manifestations que l'on a vues ces dernières semaines en Jordanie, en Algérie ou au Yémen annoncent-elles un effet de domino? Comme la Tunisie, toutes ces sociétés comptent une grande proportion de jeunes qui ont d'excellentes raisons de montrer la porte à des régimes qui ne leur offrent que des horizons bouchés.

Mais à la grande différence des anciennes démocraties populaires européennes, où la dictature était imposée par un puissant voisin, et a fini par chuter quand celui-ci a montré des signes de fatigue, les régimes arabes sont des phénomènes bien locaux. Avec des variantes importantes d'un pays à l'autre.

Il y a tout un monde entre l'Algérie, qui tente de freiner les protestations populaires en puisant dans ses recettes pétrolières, la Tunisie, dont l'économie est arrimée à l'Europe, ou encore l'Égypte, où la révolte serait forcément récupérée par les Frères musulmans - ce qui indisposerait les puissances étrangères qui s'accommodent bien d'un peu de dictature quand il s'agit de combattre l'islamisme.... Tout un monde, aussi, entre le Maroc, où la monarchie reste relativement populaire, et l'Égypte ou la Tunisie, où les vieux dictateurs sont massivement détestés.

La frustration et le ras-le-bol communs à tous ces pays pèseront-ils plus lourd que leurs différences? Chose certaine, les dirigeants arabes ont peur. Et ils ont raison. Car une des leçons de 1989, c'est qu'il suffit parfois de peu pour que l'Histoire s'emballe...