Il aurait pu quitter le pouvoir en douce et passer à l'histoire comme celui qui a héroïquement relevé une Russie post-soviétique exsangue. Mais Vladimir Poutine a décidé de s'accrocher. Dimanche, malgré la vague de contestation sans précédent qui ébranle son régime, il devrait facilement remporter la présidentielle et retourner au Kremlin pour au moins six ans. Portrait d'un leader qui voulait être indispensable.

Ce qui étonne lorsqu'on voit Vladimir Poutine de près, c'est l'épaisseur du maquillage qui recouvre son visage. Et les signes apparents de chirurgie plastique pour lui garantir une jeunesse aussi éternelle que son pouvoir. À 59 ans, le «leader national» russe a pratiquement l'air plus jeune que lorsqu'il a pris les rênes de son pays chancelant il y a 12 ans.

Ces cures de jouvence présumées -son entourage les nie - lui ont valu sur l'internet le surnom de «Botox». D'où l'appel de certains de ses détracteurs à une «débotoxisation» du pays qui, selon eux, est dans un même état de stagnation que les pommettes saillantes de son leader.

Chirurgie ou non, une chose est certaine: s'il apparaissait fade et gris à son arrivée à la tête de l'État en 2000, Vladimir Poutine a ensuite pris goût à cultiver une image d'homme fort, voire sexy. D'où les désormais célèbres photos le montrant torse nu sur un cheval, au côté d'une tigresse de l'Amour qu'il vient d'endormir d'une fléchette bien placée, ou encore derrière le guidon d'une Harley-Davidson flanqué d'une bande de motards.

Si quelqu'un avait encore des doutes sur les intentions de Vladimir Poutine, ils ont disparu le 24 septembre dernier. Ce jour-là, le président Dmitri Medvedev a annoncé qu'il ne briguerait pas de second mandat et céderait le rôle de «candidat du pouvoir» pour la présidentielle du 4 mars à son mentor, prédécesseur et premier ministre.

Après des années de suspense, les deux hommes révélaient sans gêne qu'il n'y avait jamais eu de lutte pour le poste. Le scénario était déjà écrit depuis quatre ans, soit depuis que Poutine avait chargé Medvedev de tenir au chaud son siège présidentiel, histoire de se conformer à la Constitution, qui prévoit un maximum de deux mandats «consécutifs» pour le chef de l'État.

Durant ces quatre années comme premier ministre, Vladimir Poutine n'a donc cédé son pouvoir que sur papier. Il a conservé le contrôle informel sur la vie politique, en dépit de la loi suprême, qui confère les plus influentes prérogatives au président. Les discours sur la «modernisation» et la «libéralisation» prononcés périodiquement par Medvedev sont ainsi restés lettre morte. Le système poutinien n'a pas changé d'un poil.

Du moins, jusqu'à décembre dernier.

Alors que le retour au Kremlin de Vladimir Poutine s'annonçait des plus faciles, les manifestations post-électorales qui ont suivi les législatives du 4 décembre - entachées de fraudes selon l'opposition et les observateurs étrangers - sont venues compliquer les choses.

Vladimir Poutine devrait se battre.

Loin de se laisser démonter par les rassemblements monstres et les appels à une «Russie sans Poutine», il est allé au front. Au lieu de calmer les esprits, il a nargué ses adversaires, comme il le faisait, jeune adolescent délinquant, dans les ruelles de son Leningrad natal. «Venez vers moi, bandar-logs!» leur a-t-il lancé en direct à la télévision, en référence aux singes sans foi ni loi du Livre de la jungle de Kipling.

Pour l'instant, Vladimir Poutine a toutes les raisons de railler ses détracteurs. Malgré la contestation, son régime reste intact. Aucun signe de dissension ne filtre des coulisses du pouvoir. Son contrôle des grands médias et des ressources administratives lui permet de faire passer son message et de s'assurer de la loyauté des fonctionnaires et des autres personnes qui dépendent de l'État - ils sont très nombreux qui auraient trop à perdre de la chute du régime.

Le «paradoxe» Poutine

Au fil des ans, Poutine a su se rendre indispensable à l'équilibre non seulement de son régime, mais du pays entier. C'est ainsi qu'il peut encore affirmer que la stabilité du pays qu'il est censé avoir apportée grâce à sa poigne de fer «ne tient qu'à un fil». Et ce fil, c'est lui. Paradoxalement, il se pose aussi en garant des changements à venir, étant le seul à pouvoir faire bouger un État boulimique et corrompu par la force de sa volonté toute-puissante.

Or, ces espoirs de changements sont vains, estime la politologue Lilya Shevtsova, du centre Carnegie de Moscou, dans un entretien au portail Ligabiznesinform. «Il est clair que ce système ne peut pas se transformer par une évolution. Il n'est pas prêt à une libéralisation, puisqu'elle signifierait la fin du monopole sur le pouvoir. Poutine, son clan et les gens qui servent cette équipe ne sont pas prêts à perdre ce monopole.»

Tant que Poutine tirera les ficelles dans les coulisses, la portée des réformes politiques annoncées par Medvedev après le début de la contestation dépendra de sa bonne ou mauvaise volonté.

Seule solution pour en finir avec le «poutinisme»: une révolution de velours, ou «orange», comme en Ukraine voisine en 2004, croit Mme Shevtsova. Or les chances de réussite d'un tel mouvement pacifiste sont minces à l'heure actuelle. «Il n'y a pas d'option de rechange qui soit formée en tant que concept ou parti. La société n'est pas encore prête à appuyer une telle solution politique».

Depuis le début de la contestation, la plupart des leaders de l'opposition rejetaient l'idée d'un changement de pouvoir par la rue. Or, au cours des derniers jours, les partisans du très populaire blogueur anticorruption Alexeï Navalny, qui ne cache pas ses ambitions présidentielles, ont été arrêtés alors qu'ils s'apprêtaient à distribuer des tentes à des gens prêts à occuper le centre de la capitale au lendemain de la présidentielle. L'option semble de plus en plus inévitable dans la tête des opposants.

Mais Vladimir Poutine et ses supporteurs les attendent au détour.

Les faire-valoir de la présidentielle

Peu importe leur programme, les candidats autorisés par la commission électorale à affronter Vladimir Poutine dimanche ont tous un point en commun: aucun n'ose réellement critiquer l'adversaire numéro un et probable vainqueur.

Guennadi Ziouganov, 67 ans, chef du Parti communiste depuis 1993. Éternel deuxième, il en est à sa quatrième campagne présidentielle.

Vladimir Jirinovski, 65 ans, chef du Parti libéral-démocrate (extrême droite). Il se présente pour la cinquième fois à la présidence depuis 1991.

Sergueï Mironov, 59 ans, chef du parti Russie Juste (centre gauche). Longtemps président du Conseil de la Fédération (Sénat), celui qui se considérait comme un «ami» de Poutine est tombé en disgrâce l'été dernier.

Mikhaïl Prokhorov, 46 ans, candidat indépendant. Au troisième rang des hommes les plus riches de Russie. Participant passif lors des manifestations anti-Poutine. Sa candidature est perçue comme une tentative du Kremlin de répondre à la grogne populaire.