La mission d'observation électorale en Russie a jugé lundi «biaisée» et inéquitable l'élection présidentielle qui a vu la veille une victoire écrasante de Vladimir Poutine avec près de 64% des voix, un scrutin également dénoncé par l'opposition qui appelle à manifester à Moscou.

Les conditions de la campagne «ont été clairement biaisées en faveur d'un candidat», et la concurrence n'était «pas équitable», a déclaré la mission d'observation électorale de l'Organisation pour la sécurité et la coopération dans son rapport sur la présidentielle de dimanche.

Le déroulement de l'élection «s'est détérioré lors du décompte des voix et a été évalué négativement (par l'OSCE) dans près d'un tiers des bureaux de vote en raison d'irrégularités de procédure», a ajouté la mission.

Le premier ministre et homme fort du pays, déjà président de 2000 à 2008, a obtenu 63,9% des voix après dépouillement des résultats dans 98,47% des bureaux de vote, selon les données annoncées par la commission électorale centrale.

Le candidat communiste, Guennadi Ziouganov, obtient 17,18% des voix, et le milliardaire Mikhaïl Prokhorov, nouveau venu en politique avec l'assentiment du Kremlin, 7,7%.

La Chine a félicité la première M. Poutine pour son élection. La chancelière allemande Angela Merkel devait l'appeler pour le féliciter tout en soulignant la nécessaire «modernisation politique», selon son porte-parole.

La Grande-Bretagne a souligné que la Russie devait respecter «les principes et règles clés de la démocratie». Quant à l'Union européenne, elle a appelé Moscou «à remédier aux lacunes» du processus électoral.

Les autorités russes n'avaient pas répondu au plus haut niveau en début d'après-midi au verdict de l'OSCE. Une membre de la commission électorale, Tatiana Voronova, citée par Interfax, a dénoncé une approche «politisée» et «inadéquate» de la situation en Russie.

«Nous avons gagné dans une lutte ouverte et honnête», avait lancé dimanche soir Vladimir Poutine devant une foule de plus de 100 000 partisans rassemblés près du Kremlin, les félicitant d'avoir dit «oui à la grande Russie».

«Nous avons montré que personne ne peut rien nous imposer», a-t-il ajouté.

L'ex-agent du KGB et patron du FSB a dénoncé à de nombreuses reprises ces dernières semaines des tentatives d'ingérence, ourdies depuis l'étranger par l'intermédiaire de l'opposition et d'ONG.

Il a reçu lundi le soutien renouvelé du patriarche orthodoxe Kirill, qui l'a qualifié de «leader national», selon Interfax.

Dès dimanche, les représentants de certains candidats, des opposants, les organisations russes de surveillance électorale ainsi que des médias indépendants ont affirmé de leur côté avoir recensé quantité de fraudes.

Le site control2012.ru, mis en place pour comptabiliser les infractions constatées, avait comptabilisé lundi près de 6000 cas de violation de la législation électorale.

Ce site recensait notamment 132 cas de bourrage d'urnes et 329 cas de «transport massif d'électeurs», une technique qui permet à un groupe de voter plusieurs fois dans différents bureaux grâce à des autorisations frauduleuses.

Golos a affirmé lundi que selon ses propres estimations, M. Poutine avait obtenu non 64% mais 50,26% au premier tour.

Cette association financée par des fonds occidentaux, passée dans le collimateur du pouvoir pour sa dénonciation des fraudes aux législatives de décembre, indique disposer d'un réseau de 2500 correspondants dans le pays.

La commission électorale a de son côté indiqué avoir reçu 178 plaintes sur le déroulement de l'élection, selon l'agence Ria Novosti.

Le pouvoir avait assuré que le scrutin serait démocratique, après que les falsifications dénoncées par l'opposition et des observateurs indépendants en décembre, lors des législatives, eurent déclenché une vague de contestation sans précédent depuis 2000 sous le slogan «La Russie sans Poutine».

«La récréation est finie», titrait lundi le journal d'opposition Novaïa Gazeta.

L'opposition a néanmoins maintenu son appel à une grande manifestation Place Pouchkine lundi soir, un moment crucial pour l'avenir de la contestation.

Un des leaders de l'opposition libérale, Boris Nemtsov, a appelé à former une chaîne humaine autour du Kremlin, à l'image de celle formée autour du centre-ville par des milliers de militants il y a 8 jours.

Cette initiative, si elle était suivie, se heurterait à des mobilisations pro-Kremlin organisées au même moment dans le centre de Moscou, et à de très importantes forces de police déployées dans la ville.

Le Parquet de Moscou a lancé des avertissements aux leaders de la contestation. La police a également indiqué qu'elle ne tolèrerait aucune atteinte à «l'ordre public».

Deux opposants, Sergueï Oudaltsov et Ilia Iachine, avaient auparavant indiqué avoir été convoqués par la police lundi, et avoir omis d'obtempérer.

Dans le même temps, le porte-parole de M. Poutine, Dmitri Peskov, a fait une ouverture vers l'opposition en soulignant lundi matin que l'ex-agent du KGB était «un pragmatique, orienté vers le dialogue avec tous ceux qui veulent un travail constructif», selon l'agence Interfax.

Dans un autre signe d'apaisement, le président Dmitri Medvedev, un proche de Vladimir Poutine que celui-ci a propulsé en 2008 au Kremlin faute de pouvoir effectuer plus de deux mandats consécutifs selon la constitution, a fait savoir lundi qu'il avait ordonné de vérifier le «bien-fondé» de la condamnation de l'ex-magnat du pétrole Mikhaïl Khodorkovski.

Celui-ci, arrêté en 2003, purge une peine de 13 ans de prison dans une affaire emblématique et largement considérée comme un règlement de comptes politique à l'égard d'un patron trop indépendant qui finançait l'opposition.

M. Medvedev a aussi ordonné de revoir la légitimité du refus d'enregistrement du parti Parnas, une des principales formations d'opposition libérale.

Lioudmila Alexeeva, présidente du groupe Helsinki de Moscou, a dit «avoir des doutes concernant une libération» de Khodorkovski, dénonçant «un jeu politique» au lendemain de la présidentielle.