Élu à la présidence avec près de 63,6% des voix dimanche, Vladimir Poutine devra maintenant trouver un moyen de calmer les esprits, après trois mois de contestation sans précédent de son régime.

Quelque 15 000 de Moscovites sont descendus dans les rues hier pour dénoncer la victoire «frauduleuse» de l'homme fort du pays. À quelques pas de là, les partisans de Poutine étaient tout aussi nombreux pour défendre son régime.

Mais contestation ou non, celui qui dirige déjà la destinée des Russes depuis plus de 12 ans -comme premier ministre ou président- semble bel et bien installé au pouvoir pour six autres années. Son régime, basé avant tout sur la loyauté de ses proches, ne montre aucun signe d'effritement.

Un appareil fidèle

Lors de l'élection de dimanche, la fidélité du président de la Commission électorale centrale, Vladimir Tchourov, s'est ainsi encore une fois révélée totale. Avant même la fin du décompte final des voix, il a officiellement déclaré Vladimir Poutine nouveau chef de l'État.

Les quelques milliers d'irrégularités recensées par l'opposition et les observateurs internationaux ont laissé M. Tchourov de marbre. Il a par exemple rejeté l'hypothèse d'un bourrage d'urnes dans un bureau de vote du Daguestan (Caucase), malgré une vidéo compromettante largement diffusée sur le web. Selon M. Tchourov, les bulletins glissés à la chaîne dans les urnes par des employés électoraux provenaient d'une tournée de vote à domicile. Puisque la procédure aurait dû être faite après la fermeture du bureau, les résultats de ce bureau de scrutin ont été annulés. Mais pas question d'enquêter sur la possibilité d'une fraude volontaire.

La loyauté des autres candidats à la présidentielle a elle aussi été presque sans failles. Malgré les allégations de fraudes, seul le communiste Guennadi Ziouganov, deuxième avec 17,2% des voix, a qualifié le scrutin «d'illégitime». Or, M. Ziouganov et son parti ont fait une habitude par le passé de crier à la fraude... avant de rentrer sagement dans les rangs de l'opposition «systémique» par la suite.

Détente ou raidissement

La question qui est actuellement sur toutes les lèvres en Russie: les échéanciers électoraux derrière lui, le régime Poutine se dirigera-t-il vers une plus grande libéralisation de la vie politique - à l'instar des réformes lancées en décembre par Dmitri Medvedev pour répondre à la grogne? Ou, au contraire, durcira-t-il le ton pour punir ceux qui ont osé le contester?

Konstantin Eggert, chroniqueur à la radio Kommersant Fm, croit que Poutine cherche toujours la façon adéquate de se comporter devant cette frange mécontente de la société, certes minoritaire, mais éduquée et influente. «Il est impossible de l'acheter avec de l'argent, puisque ses doléances à l'égard du pouvoir sont immatérielles. Il ne peut pas non plus simplement l'effrayer, puisqu'ils sont des dizaines de milliers à participer aux manifestations et que seule une répression massive pourrait les arrêter. Or, ni le pouvoir ni l'opposition ne souhaitent d'effusion de sang. Et c'est peut-être la seule chose qui les unit et donne espoir», conclut M. Eggert.

Hier, l'actuel président Dmitri Medvedev - et probable futur premier ministre de Poutine - a fait deux gestes qui pourraient à la fois être interprétés comme une main tendue à l'opposition ou une volonté de calmer temporairement les esprits échauffés par l'élection.

Il a premièrement ordonné au procureur général de vérifier le «bien-fondé» des peines infligées à l'oligarque déchu Mikhaïl Khodorkovski - ennemi juré de Poutine - et à une trentaine d'autres personnes considérées par l'opposition comme des «prisonniers politiques». Dans la même veine, M. Medvedev a exigé des explications au ministère de la Justice concernant son refus d'enregistrer, il y a quelques mois, le parti libéral d'opposition Parnas.

À en juger par la brutalité utilisée par la police hier contre les opposants récalcitrants à quitter la manifestation (voir encadré), il semble que le régime Poutine ne se défera pas facilement de ses vieilles méthodes.



Manifestants arrêtés


Des centaines de manifestants et certains leaders du mouvement d'opposition ont été interpellés hier soir lors de rassemblements dénonçant la victoire «frauduleuse» de Vladimir Poutine. Après la fin officielle d'une manifestation tenue place Pouchkine à Moscou, une partie des manifestants a suivi un appel lancé par ses dirigeants en faveur de l'occupation du lieu «tant que Poutine sera au pouvoir».

Des milliers de policiers antiémeutes ont alors encerclé la place et interpellé les récalcitrants, dont le blogueur anticorruption Alexeï Navalny et le leader d'extrême gauche Sergueï Oudaltsov. L'écrivain Édouard Limonov et une cinquantaine de ses partisans du mouvement l'Autre Russie ont quant à eux été arrêtés lorsqu'ils s'apprêtaient à protester près des bureaux de la Commission électorale.

Environ 300 opposants ont également été arrêtés lors d'une manifestation non autorisée à Saint-Pétersbourg.