La malnutrition fait des ravages en Afrique de l'Est, frappée par la sécheresse. Selon une étude américaine, 29 000 enfants en sont morts depuis le mois de mai. Mais des dizaines de milliers d'autres se battent pour vivre, avec l'aide de médecins débordés. Au Kenya, notre journaliste a visité la ligne de feu du combat contre la faim meurtrière.

L'enfant, squelettique, geint doucement. Fariyo Yusuf, à 2 ans, pèse à peine le tiers du poids normal d'un enfant de cet âge. Il agite son petit bras, gros comme une brindille, au dessus de son visage émacié. La plupart des visiteurs qui s'approchent du petit Somalien retiennent un sanglot.

Mais pas le Dr Lagat.

Un immense sourire se dessine dans le visage du jeune médecin responsable de l'unité de malnutrition de l'hôpital de la Société allemande pour la coopération internationale, à Ifo, un des trois camps de réfugiés qui composent le complexe de Dadaab, dans le nord-est du Kenya.

«Hier encore, Fariyo n'avait que 50% de chances de survivre. Il était inconscient. Il ne réagissait pas au toucher. Aujourd'hui, il ouvre les yeux et reconnaît sa mère. Je crois qu'il est sauvé», se réjouit le médecin kenyan de 29 ans, avec une immense fierté. La fierté du soldat qui a remporté une bataille difficile dans une guerre sans relâche.

Pour chaque Fariyo qui est arraché à la mort, des centaines d'autres enfants de 0 à 5 ans meurent de malnutrition aiguë en Afrique de l'Est. En Somalie seulement, où la famine sévit dans 5 régions du Sud, plus de 29 000 enfants sont littéralement morts de faim en moins de 3 mois, selon une étude américaine publiée la semaine dernière. Près de 640 000 autres souffrent de malnutrition grave.

Espérant sauver la vie de leurs enfants, des milliers de Somaliens fuient quotidiennement leur pays vers les camps de réfugiés de l'Éthiopie et du Kenya. Ceux qui viennent à bout du pénible voyage frappent à la porte de cliniques comme celle que dirige le Dr Lagat. «Parmi les nouveaux arrivés, 70% des enfants souffrent de malnutrition. C'est gigantesque», note le médecin en jetant un coup d'oeil sur ses 20 minuscules patients.

Si, au début de l'année, il recevait de 10 à 20 patients par mois souffrant de malnutrition, ils sont aujourd'hui de 25 à 50 à se présenter aux urgences chaque jour. Les médecins ne savent plus où donner de la tête. Même situation dans le camp voisin, à Dagahaley, où Médecins sans frontières a un hôpital. Chaque mois, 400 enfants en bas âge y sont traités pour malnutrition grave. De ce nombre, 15 sont morts le mois dernier seulement.

Les mères inquiètes s'installent dans l'enceinte de la clinique jusqu'à ce qu'on juge que l'état de leurs enfants s'est suffisamment amélioré pour qu'elles puissent en prendre soin elles-mêmes. On leur remet alors des biscuits nutritionnels et une pâte de cacahuètes fortifiée de lait en poudre et de vitamines, le Plumpy'Nut. «On ne peut pas traiter que l'enfant. On doit traiter toute la famille. C'est trop difficile pour un parent de nourrir un enfant malade et de priver les autres», note le Dr Mohamed Gedi, grand patron de l'hôpital de Médecins sans frontières.

Devant l'ampleur de la crise, le Dr Gedi a dû tripler ses effectifs. Alors que l'hôpital de Dagahaley compte habituellement 7 médecins, 17 autres sont en route pour venir leur prêter main-forte.

Le pire à venir

Le Dr Gedi craint fort que le pire ne soit à venir. La sécheresse perdure, et l'aide humanitaire peine à se rendre aux populations les plus touchées de la Somalie. Les nouveaux réfugiés arrivent de plus en plus mal en point. «On voit de plus en plus d'enfants de 5 à 10 ans qui souffrent de malnutrition. C'est inquiétant. Et plusieurs tombent malades alors qu'ils sont dans les camps de réfugiés.»

C'est le cas de la petite Sabrin, âgée de 18 mois, arrivée à Dadaab avec sa mère il y a quelque sept mois. L'enfant, rachitique, n'est pas hospitalisée. Elle vit dans un abri de fortune, en périphérie du camp de Dagahaley, avec sa mère et son frère. «Nous avons fui les problèmes à Mogadiscio, mais nous en avons trouvé encore plus ici, dit Hamida Abdulkader. Ma petite fille est malade sans arrêt. Je n'ai rien pour elle. Pas de lait, pas même un matelas pour la coucher. Nous avons vu le médecin plusieurs fois, mais elle ne guérit pas.»

Débordées par l'arrivée massive de nouveaux réfugiés, les organisations humanitaires s'inquiètent du manque de ressources et comptent envoyer des médecins à la périphérie des camps pour dépister les pires cas de malnutrition.

Mais ces efforts ne rassurent pas Hamida Abdulkader. «Voir mon enfant mourir de faim, ça me tue un peu tous les jours.»