Mandy McCall a été réveillée par les cris des voisins. Sa chambre donnait sur la rue. Elle s'est précipitée au secours de ses quatre enfants, qui dormaient à l'autre bout du couloir. «Quand j'ai ouvert la porte, la chambre était orange à cause des flammes. Les fenêtres avaient volé en éclats et la fumée entrait dans la pièce.»

Mme McCall a fait sortir les enfants. La fumée était de plus en plus dense. «Mon mari était en état de choc. Il se tenait devant la porte d'entrée, incapable de bouger. J'ai cru que la maison allait exploser. J'ai couru dans la rue pour supplier un gars de m'aider à sortir mon mari. C'était horrifiant. Terrible.»

Quelques minutes de plus, selon les pompiers, et il y aurait eu des morts. Sur le coup, Mme McCall a cru qu'elle avait laissé le four allumé. La réalité était beaucoup plus sinistre. On avait mis le feu au réservoir de mazout, à l'arrière de la maison. «Je ne pouvais pas comprendre pourquoi on m'avait fait ça. Je n'avais jamais rien fait pour déranger quiconque.»

Il y avait pourtant bien une raison pour laquelle Mme McCall avait été prise pour cible. Une seule. Elle habitait en plein sur l'une des lignes de fracture entre les communautés catholique et protestante du nord de Belfast. Le séisme était inévitable.

Des voix s'élèvent

Quand elle avait visité la maison, sept ans plus tôt, Mme McCall avait tout de suite aimé la vue sur les écluses de Belfast, là où le célèbre Titanic a été construit, il y a près d'un siècle. La cour donnait sur le terrain de l'école primaire Hazelwood, l'un des rares établissements scolaires fréquentés à la fois par des catholiques et des protestants en Irlande du Nord.

Le terrain de l'école servait aussi de zone-tampon entre le quartier catholique d'Old Throne Park et celui, protestant, de White City.

Après l'incendie, survenu le 28 juin 2005, Mme McCall a voulu partir. Sa fille de 9 ans, Emily, était si traumatisée qu'elle en avait perdu tous ses cheveux. «On a essayé de vendre la maison, mais personne n'en voulait.»

Personne ne voulait risquer sa vie pour une vue sur les écluses. L'été suivant, une autre maison d'Old Throne Park a brûlé en pleine nuit. Pour calmer le jeu, au printemps 2007, le Northern Ireland Office (NIO) - le département britannique chargé de la sécurité dans la province - a décidé d'ériger un «mur de paix» de 7,6 mètres sur le terrain de l'école Hazelwood.

L'ironie n'a échappé à personne. Cette école «intégrée» avait toujours lutté pour démolir les barrières en réunissant en ses murs des enfants protestants et catholiques. Cette fois, Hazelwood se retrouvait elle-même sur la ligne de front.

Pire, le NIO a annoncé la construction du mur quelques jours après une poignée de mains historique entre le révérend Ian Paisley et le chef du Sinn Féin, Gerry Adams. Les deux anciens ennemis jurés acceptaient enfin de partager le pouvoir au Parlement provincial de Stormont.

«Le message que cela envoyait aux jeunes, c'est que peu importe ce qui arrive en politique, cela ne change rien pour eux, sur le terrain», dénonce Lady May Blood, qui milite depuis 25 ans pour l'instauration d'écoles intégrées en Ulster.

Éveil des consciences

Jusque-là, personne n'avait remis en question les murs de paix. Ils étaient vus comme un mal nécessaire. Ils étaient érigés automatiquement, presque par réflexe, pour répondre à des actes de violence. Et ils continuaient à pousser comme des champignons, une décennie après la signature des accords de paix.

«Hazelwood nous a placés devant le choc de la réalité. Si les politiciens croyaient que le conflit était fini, ils avaient tort, parce que les tensions étaient encore très réelles sur le terrain, et les communautés encore très divisées», dit Ray Mullen, du Northern Ireland Community Relation Council.

Le mur de Hazelwood est le dernier à avoir été érigé en Ulster. Depuis, des voix s'élèvent pour réclamer la destruction des 88 murs qui déchirent Belfast, ou du moins une stratégie pour y arriver. Pour la première fois, on les a comptés. On a écrit un rapport. On a mené des consultations.

Il reste beaucoup de chemin à faire. Selon un sondage, 81% des résidants souhaitent voir tomber les murs un jour, mais seulement 21% d'entre eux voudraient que cela se produise immédiatement. Six personnes sur 10 n'accepteront la destruction des murs que lorsqu'elles se sentiront suffisamment en sécurité.

«Aucun mur ne sera enlevé si cela ne vient pas de la communauté», dit une responsable au NIO. «Si les gens ne se sentent pas en sécurité, on ne peut pas les priver de ces murs juste parce que certains trouvent que cela ferait plus joli.»

«On est conscient qu'on ne peut pas simplement grimper dans un bulldozer et démolir les murs. Ils sont là pour une raison. Les gens ont besoin de sécurité», admet M. Mullen. «Le problème, c'est qu'il n'y a pas de sécurité à long terme avec les murs. Les gens vivent en état de siège.»

Des églises toutes-puissantes

La clé de la réconciliation, c'est peut-être l'instauration d'écoles intégrées comme celle de Hazelwood. Une étude de la Queen's University de Belfast a montré que les élèves qui y avaient fait leurs classes ont des idées politiques plus pacifistes. Ils s'identifient davantage comme Nord-Irlandais plutôt que comme Britanniques ou Irlandais.

Or, seulement 6% des écoles d'Ulster sont intégrées. Et ce n'est pas parce que les parents ne sont pas intéressés. «Depuis sept ans, on a refusé plus de 5000 enfants par manque de places. L'intérêt est là, mais il n'y a aucune volonté politique d'y répondre», déplore Michael Wardlow, directeur du Northern Ireland Council for Integrated Education.

Les partisans de l'éducation mixte doivent se battre contre l'Église catholique, encore propriétaire des écoles catholiques de la province. «Pendant des années, elle a refusé de donner les sacrements aux enfants qui fréquentaient Hazelwood. Elle voyait cela comme une trahison», raconte l'ex-directrice, Jill Houston.

L'Église protestante a cédé ses écoles à l'État dans les années 40. Mais elle reste influente.

«Nous avons compris que nous ne gagnerions jamais contre les deux Églises, dit Mme Houston. Pour elles, l'école est la base du pouvoir. Elles se disent que si elles contrôlent les gens dès leur enfance, elles continueront à les contrôler plus tard. Alors nous tentons de convaincre les politiciens. Mais ils ne nous soutiennent pas davantage.»

C'est qu'ils n'ont pas intérêt à ce que les choses changent. «Si les deux communautés commençaient à se mélanger, cela risquerait d'ébranler leur base électorale», dit Tony Macaulay, un travailleur communautaire. «En Irlande du Nord, des politiciens en faveur de l'intégration, c'est un peu comme des dindes en faveur de Noël.»

Changer les mentalités

Jill Houston a pris sa retraite en juin, après avoir enseigné pendant 24 ans à l'école Hazelwood. Elle a vu bien des batailles, dans ce quartier ouvrier du nord de Belfast. Bien des drames, aussi. D'anciens élèves sont morts sous les balles.

Elle n'a pas oublié Danny McColgan. C'était un garçon frêle, qui portait des lunettes. À 20 ans, il s'était trouvé un emploi de facteur. Le 12 janvier 2002, deux hommes masqués l'attendaient devant le bureau de poste. Ils l'ont abattu à 4h45 du matin. Sept balles tirées à bout portant. Quelques jours plus tard, sur un mur de paix, ce graffiti triomphant: «Harry Potter est mort.»

«C'était un enfant adorable, probablement le plus pacifiste que j'aie rencontré, se souvient Mme Houston. Il était notre gardien de but à l'école, surtout parce que sa mère lui avait acheté des gants de gardien. Mais il était incapable d'arrêter un ballon. Ses lunettes lui tombaient sans cesse sur le nez...»

Il est trop tard pour Danny. Trop tard aussi pour Mandy McCall, qui vit désormais au pied d'un mur de 7,6 mètres. «On ne peut songer à le démanteler tout de suite. Le défi, c'est d'abord de changer les mentalités», admet Mme Houston.

Elle rêve qu'un jour, ce sont d'anciens élèves de son école qui décideront, ensemble, de démolir le mur de la honte.