En Afrique de l'Ouest, les poursuites judiciaires entamées contre Dominique Strauss-Kahn, dont le nouveau procès au civil, délient les langues et l'imagination. En Guinée, pays d'origine de la présumée victime, comme dans les pays voisins, c'est d'abord de soi qu'on parle en commentant le feuilleton.

Les médias alimentent peu le débat: les nouvelles, qui arrivent au compte-gouttes, sont essentiellement repiquées des médias français. À en croire les journaux de la région, c'est une histoire bien éloignée des préoccupations locales. Dans la rue, en revanche, on suit et commente l'affaire avec passion.

Près d'un kiosque à journaux de Dakar, au Sénégal, plusieurs Guinéens se rejoignent pour prendre un café chaque matin. Ici, on plaisante sur Dominique Strauss-Kahn, appelé DSK, et sur la plaignante, Nafissatou Diallo. On évoque des théories du complot qui mettent en cause Nicolas Sarkozy et les francs-maçons. C'est une joute verbale et joviale.

Mais tout le monde n'en reste pas au stade de la blague et des théories farfelues.

Thérèse, cadre dans une banque de Dakar, ne trouve pas l'histoire drôle. «J'ai l'impression qu'autant les hommes que les femmes, au boulot, veulent absolument que Nafissatou Diallo ne soit qu'une menteuse et une pute.»

En Guinée comme dans les pays voisins, on constate que la plaignante ne suscite guère d'empathie. Dans les médias sociaux, c'est le déchaînement: on traite la Guinéenne de profiteuse et de traînée. On se moque de son physique et on se demande pourquoi DSK l'aurait violée alors qu'il avait les moyens de s'offrir une prostituée de luxe.

Béatrice Kolie, juriste guinéenne et spécialiste en matière d'agressions sexuelles, y voit surtout la dure réalité des victimes de viol. En Guinée, les victimes portent rarement plainte et on comprend mal pourquoi quelqu'un voudrait raconter son viol en public. «Le viol est aujourd'hui banalisé en Guinée. Dans le cas où une femme veut intenter une action en justice pour viol, elle est d'abord exposée et répudiée parce que la sexualité est taboue.»

La hargne contre Nafissatou Diallo est aussi symptomatique du climat d'impunité qui règne en Afrique vis-à-vis du viol et du harcèlement sexuel. On ne compte plus les scandales sexuels impliquant des hommes politiques africains: accusations de viol contre le Sud-Africain Jacob Zuma, bigamie de l'Ivoirien Laurent Gbagbo, frasques de Mouammar Kadhafi... Rarement on a vu des hommes publics africains tomber en disgrâce pour une histoire de moeurs comme celle à laquelle est mêlé DSK.

La fracture guinéenne

Le feuilleton new-yorkais est très loin de Tchakulé, le village de Nafissatou Diallo, où il n'y a ni électricité ni téléphone. Ce sont les journalistes qui ont appris à la famille l'histoire de leur parente. Pour eux, Nafissatou, c'est la jeune émigrée travailleuse qui a envoyé l'argent pour construire une belle maison.

En Guinée, Nafissatou est pourtant l'illustration d'un malaise grandissant. Depuis les premières élections démocratiques de 2010, les tensions entre groupes ethniques s'aggravent. Sur l'affaire, chacun défend son clan.

«Il y a trois positions: ceux qui soutiennent Nafissatou Diallo, qui sont des Peuls, comme elle; ceux qui soutiennent DSK, pour la plupart issus d'autres communautés; et ceux qui ont une position modérée, généralement des intellectuels», explique Mamady Yaya Cissé, journaliste à la Radio Télévision guinéenne, à Conakry.

En Guinée et dans les pays voisins, l'affaire DSK, c'est surtout l'histoire d'une Africaine. Comme si Nafissatou habitait toujours son village.