Obama arrive. Avec, dans son sillage, des espoirs démesurés et la conviction que, désormais, tout est de nouveau possible. De quoi nous donner une féroce envie de redécouvrir «l'Amérique». Six journalistes de La Presse ont fouillé dans leurs souvenirs, parfois récents, parfois lointains. Ils partagent avec nous leurs moments de grâce à l'endroit d'un pays qui se trouve, une fois de plus, à un carrefour.

Il avait peut-être mon âge. Vingt-quatre, vingt-cinq ans. Grand, gros surtout, le regard absent, fixant le néant, pratiquement soudé à son siège, les bras lourds posés sur une énorme chaîne stéréo.

 

Il est monté à bord quelque part au Mississippi et n'a pas bougé d'un poil, ni en Alabama ni au Tennessee, avant de descendre dans le Kentucky. On ne s'est pas adressé la moindre parole.

C'était il y a 10 ans. Je me suis revu, récemment, coincé à l'arrière de cet autobus, entre la vitre bringuebalante du vieux Greyhound et le ghetto blaster surdimensionné de ce jeune Noir impassible, respirant les émanations pestilentielles des toilettes en découvrant les bidonvilles de la Bible Belt.

Le 4 novembre dernier, j'étais à Grant Park, à Chicago. Avec un ami journaliste qui était aussi à mes côtés, jadis, dans cet autobus poussiéreux du sud des États-Unis. Deux vieilles dames noires venaient de s'effondrer en larmes devant moi en apprenant que Barack Obama avait remporté l'élection présidentielle. J'ai repensé à ce grand garçon nonchalant, au regard triste. Qu'aurait-il dit à l'époque si je lui avais annoncé que dans 10 ans, un Noir serait président des États-Unis?

L'Amérique que j'aime se trouve sur la route qui mène partout et nulle part. Vers des pôles austères aux ciels inquiets et vers d'improbables destins.

C'est l'Amérique de ce voyage retour, de la Louisiane à Montréal. Quelque 50 heures d'un trajet ininterrompu - sinon par une sieste à même le sol de la gare de New York -, à observer le va-et-vient des passagers et à glaner des tranches de la vie quotidienne à travers la vitre sale d'un autobus nauséabond. À côté d'un garçon stoïque qui fixe peut-être aujourd'hui autre chose que le néant.