Obama arrive. Avec, dans son sillage, des espoirs démesurés et la conviction que, désormais, tout est de nouveau possible. De quoi nous donner une féroce envie de redécouvrir «l'Amérique». Six journalistes de La Presse ont fouillé dans leurs souvenirs, parfois récents, parfois lointains. Ils partagent avec nous leurs moments de grâce à l'endroit d'un pays qui se trouve, une fois de plus, à un carrefour.

Je me rappelle avoir voulu que le temps s'arrête. Et je me rappelle m'être plantée devant le bronze de Rodin niché sous l'oranger en fleurs, devant la porte du département que je franchirais tous les jours pour aller étudier, en me disant que ce n'était pas possible.

 

Pas possible d'être dans un lieu aussi choyé.

Pas possible qu'on ait voulu me convaincre d'aller poursuivre mon éducation en France ou en Angleterre alors que le paradis était ici, dans cette université, en Californie.

Pas possible que la brise de Palo Alto soit aussi délicieuse.

Je me rappelle un parfum de fleur et une affiche accrochée sur le babillard qui nous invitait à un débat entre deux Prix Nobel...

Je me rappelle la marche sous les eucalyptus ou le long des palmiers, avec détour sur les fontaines, pour changer de cour ou aller à la bibliothèque aux profonds fauteuils et aux tapis moelleux, écrin lumineux rempli de Macintosh et de jeunes lettrés dont les soeurs et frères cadets sont plus tard partis fonder les Google et les Facebook de ce monde.

Je me rappelle ma chambre dans un ancien manoir faisant office de résidence-coopérative, très néo-granole, peuplée de jeunes vêtus de t-shirts de batik, portés sur le pot, la cuisine végétarienne et la musique des Grateful Dead.

Je me rappelle les conférences des penseurs célèbres, Betty Friedan, Catharine McKinnon, Kenneth Arrow, des gens qui défilaient à la queue leu leu pour nous faire réfléchir.

Et je me rappelle ma copine Tracy, une New-Yorkaise sculpturale comme Naomi Campbell ou Michelle Obama, qui n'avait jamais connu son père, mort à la guerre du Vietnam, mais qui avait forgé son chemin jusqu'à cette grande université.

Je me rappelle ma première Thanskgiving, chez ses proches à Los Angeles, de la tarte à la patate douce et de la dinde and all the trimmings.

Et s'il y a une ombre sur cette année américaine parfaite, c'est la crainte de ne jamais l'en avoir suffisamment remerciée.