C'était, dès le début des années 60, «le son des jeunes Américains»: Motown, label des Marvin Gaye, Four Tops, Diana Ross&The Supremes, Stevie Wonder, The Temptations, Smokey Robinson, les Jackson 5, autant d'artistes qui ont grandi sous la houlette du patron Berry Gordon Jr. et de son entourage de compétents musiciens, compositeurs et techniciens. Les mélomanes soulignent cette année 50 ans de services musicaux fièrement rendus.

Ainsi va la légende: le 12 janvier 1959, Berry Gordy, employé de Chrysler à Detroit et compositeur de chansons dans ses temps libres (pour Jackie Wilson, notamment), a emprunté 800$ à ses soeurs Anna et Gwen pour fonder une maison de disques. «The rest is history», comme disent nos voisins du Sud: la maison blanche du 2648, West Grand Boulevard, à Detroit, aujourd'hui le musée Motown, a été l'épicentre d'une révolution musicale et raciale.

 

Même s'il a dû céder les droits de son premier succès - Money (That's All I Want) de Barrett Strong - à Anna pour rembourser sa dette, l'entreprise a fructifié pour devenir le plus important label indépendant des années 60. « Nous étions les meilleurs, c'est tout», expliquait Jack «Black Jack» Ashford, percussionniste de l'orchestre de la maison Motown Funk Brothers, à La Presse lors de sa visite au Festival de jazz, en 2004. «Nos chansons étaient beaucoup plus mélodiques (que celles de la concurrence), je crois que ça a rendu notre son universel. Encore aujourd'hui, notre oeuvre demeure universelle.»

En 50 ans, mais surtout durant l'âge d'or des années 60, Motown a érigé une oeuvre immortelle qui a contribué à rétrécir l'écart entre les classes raciales du pays, un détail qui s'accorde harmonieusement avec l'intronisation du premier président noir de l'histoire des États-Unis.

Un grand pas pour les Noirs

Avant Tamla-Motown, le rhythm&blues était synonyme de «musique raciale», et catégorisé comme tel, autant par l'industrie du disque - le Billboard avait un palmarès r&b assez étanche - que par le grand public. Arrivé à la fin des années 40 dans l'enthousiasme de l'après-guerre, né de la popularisation du blues et du jazz swing, le r&b avait déjà quelques rares vedettes afro-américaines, dont Ray Charles.

Le rock'n'roll des années 50 n'était en réalité que l'appropriation des rythmes afro-américains du r&b par des musiciens blancs.

Motown a aboli ce «régime» de l'industrie de la musique - ou, plutôt, il a rendu le r&b acceptable aux goûts du public blanc. L'étiquette de Detroit, la première maison de disque dirigée par un Noir, qui n'employait que des artisans de couleur, a misé sur les refrains taillés sur mesure pour les radios pour s'imposer dans les palmarès dès 1961, à la faveur d'un premier no. 1 au Billboard, Please Mr. Postman des Marvelettes.

Plus forts qu'Elvis!

Sans Motown, pas de Beatles? La question mérite d'être posée, d'abord parce que l'Europe ne faisait pas la sourde oreille aux rythmes et refrains qui émanaient de Detroit. Ainsi, les vedettes britanniques de l'époque n'hésitaient pas à puiser dans le répertoire populaire afro-américain pour façonner leur image, ces emprunts ayant le mérite de se distancer du rock n'roll «à l'américaine», le son d'Elvis et consorts. Les Beatles, les Rolling Stones et plusieurs autres orchestres émergents ont revisité les succès de Motown (et des studios Stax et Muscle Shoals, à cet égard): le premier succès des Marvelettes, par exemple, apparaît sur le deuxième album des Liverpudlians, With The Beatles (1963).

L'usine à tubes

L'étiquette Motown était une usine à succès. On y faisait du 9 à 5. Les compositeurs-maison (Stevie Wonder, le trio Holland-Dozier-Holland, Norman Whitfield plus tard) accouchaient de refrains; les Funk Brothers s'enfermaient dans le «Snake Pit» - le studio, ainsi baptisé en raison des nombreux fils électriques qui recouvraient le plancher - pour bricoler des arrangements, puis la vedette venait chanter le texte. À ce régime, on pouvait enregistrer quatre ou cinq nouvelles chansons par jour.

En 1971, Marvin Gaye lançait What's Going On, l'un des plus importants albums de l'histoire de la pop. Ce fut le dernier à naître dans le Snake Pit; Berry Gordy Jr. a déménagé en Californie, et le studio Motown a perdu sa superbe, même si Stevie Wonder n'avait pas encore révélé toute l'étendue de son génie.

Aujourd'hui réduit à une marque de commerce - le dernier album de Lil Wayne a été édité sur Universal Motown -, la maison de Motor City demeure néanmoins l'emblème d'un rêve américain qui s'est, heureusement, réalisé.

 

Les essentiels

Cinq albums essentiels du catalogue Motown:

Marvin Gaye What's Going On

Stevie Wonder Songs in the Key of Life

Smokey Robinson &The Miracles Going To a Go-Go

The Temptations Sky's the Limit

The Four Tops Reach Out