Bruno Blanchet voyage dans le monde entier depuis quatre ans et demi, et il partage régulièrement ses impressions avec les lecteurs de La Presse. Présentement à Nairobi, il constate que la violence, la misère et les rivalités ethniques tempèrent l'enthousiasme suscité par l'investiture du premier président afro-américain.

À la veille du sacre du premier président afro-américain, la capitale kényane est sous haute tension. Des militaires armés patrouillent dans les rues, mitraillette à la main, le doigt sur la détente. À leur approche, il ne faut surtout pas faire de geste brusque ni de drôles de face, car ils sont très nerveux. Et ils ont plus d'une raison de l'être.

 

Cette semaine, à Nairobi, un homme est entré dans un autobus, a volé le fusil d'un gardien de sécurité qui rentrait sagement à la maison et l'a abattu à bout portant, avant de dépouiller la vingtaine de passagers de tous leurs biens, à la pointe du revolver. À 16h.

Puis, le lendemain, des bandits déguisés en travailleurs de la construction ont réussi un coup fumant: ils ont pénétré dans le siège social de la Standard Chartered Bank et ont dérobé 1,26 million de shillings (20 000$ CAD) au nez et à la barbe des autorités, en plein jour, devant le bureau des archives nationales du Kenya!

Et c'est sans compter le nombre de meurtres, de viols et d'agressions signalés dans le journal chaque matin, en page 6 ou 12, comme des faits divers sans importance...

Alors, comment l'élection d'un fils du Kenya pourra-t-elle changer le quotidien trouble du pays de son papa?

«Barack Obama n'est pas kényan! Il est luo!»

Dennis travaille à la gare de Nairobi. Il vient de Kisumu, ville située dans la même région que le village natal du père du futur président des États-Unis. Et il tient absolument à la précision, car il est lui aussi du groupe ethnique luo, vous l'aurez deviné!

Détail?

Le Kenya est déchiré depuis toujours par une guerre de clans. Pendant la convention démocrate, il y avait même ici des gens qui prenaient parti pour Hillary Clinton parce qu'ils appartenaient à des groupes ennemis des Luo.

Y en aura pas de facile.

«Go, Obama, go!» Au Coin des amis, le Friends Corner, Steve Fita finit son deuxième 10 onces de brandy. Il est 20h. Il a commencé à boire à 17h. Son truc? Il mélange le brandy avec du lait. «Ça passe mieux... J'ai même pas l'impression de boire! Hi hi!»

En disant cela, il s'endort, le menton sur la poitrine. Au-dessus de sa tête, au mur, est accroché un calendrier avec le visage de Barack Obama et la mention «Yes we can!». Un message qui figure sur de nombreuses affiches de la cité.

O.K. Et «nous pouvons» quoi, au juste?

Outre les problèmes de violence liés aux conditions économiques, le pays vit une crise politique très grave. Comme beaucoup d'autres, Eunice, employée de l'hôtel Greton, ne fonde pas grand espoir sur l'élection d'Obama. Surtout en ce qui concerne le Kenya.

«Il ne pourra rien faire pour nous parce que ça aurait l'air d'être du favoritisme. Et puis il a déjà assez de boulot chez lui!»

Voilà. Ici, on fêtera assurément, le 20 au soir. Par fierté. Mais aussi pour oublier, le temps d'un party, que le lendemain les militaires patrouilleront encore dans les rues, le doigt sur la détente.