Témoignages effrayants, spéculations étourdissantes, détails croustillants, procès retentissant... Le naufrage du Titanic a fait la une des journaux dès le 15 avril 1912, et pendant de nombreuses semaines. Et «l'exclusivité» de la nouvelle du naufrage appartient... à un journaliste montréalais.

Montréal, 14 avril 1912, 22 h 30. George Hannah termine sa journée. Dans son bureau de la rue de la Commune, l'homme gère les allées et venues des navires du transporteur Allan Steamship Line. Soudain, le Virginian, parti de Halifax deux jours plus tôt pour Liverpool, lui relaie un appel de détresse lancé par le Titanic. Hannah autorise le navire à dévier de sa route pour aller au secours du paquebot.

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À ce moment, raconte l'auteur Alan Hustak dans Titanic, The Canadian Story (DV3 Press), 8 canots de sauvetage ont déjà quitté le Titanic avec 155 passagers à bord. Ils auraient pu en contenir 400.

Après avoir autorisé le Virginian à secourir le Titanic, George Hannah fait un autre appel: son ami Edward Stranger, reporter aux actualités maritimes au journal The Gazette. Les deux hommes écoutent ensemble les messages de détresse du Titanic qui annoncent que le navire «coule rapidement» et que «les femmes sont embarquées dans les canots».

Edward Stranger savait qu'il tenait quelque chose. La Gazette ayant une entente de partage d'information avec le New York Times, la dépêche du journaliste montréalais se retrouve dans la livraison du 15 avril du grand quotidien américain.

Les journaux montréalais du 15 avril 1912 font presque tous état de la tragédie mais ne s'entendent pas sur sa gravité. La Gazette titre que le Titanic est «en danger» et est peu optimiste quant à son sort, contrairement au Daily Star, qui écrit que le navire «est toujours à flot».

La Presse, elle, annonce «un drame en pleine mer» mais garde espoir: elle cite deux dépêches selon lesquelles «tous les passagers du Titanic ont été sauvés du paquebot à 3h30 ce matin». Dans l'après-midi du 15 avril, d'autres dépêches annoncent que le Titanic est remorqué vers Halifax.

Dans les bureaux montréalais de la White Star Line, rue Saint-Jacques, le représentant James Thom est persuadé que le navire ne peut couler. Il «ne peut croire que le désastre ait pu être produit par une collision du Titanic avec une banquise. Suivant lui, il n'y a jamais, à cette époque de l'année, de banquise aussi au sud», écrit La Presse.

Ce n'est que le soir du 15 avril que les espoirs sont définitivement balayés: le navire Carpathia, arrivé à l'aube à la dernière position donnée par le Titanic pendant la nuit, «n'a trouvé que des chaloupes et des épaves».

Les nouvelles voguent lentement

Si les journaux du 16 avril ne laissent plus de doute sur la catastrophe maritime, les détails élémentaires, eux, mettront plusieurs jours à être connus. Le nombre exact de victimes et de survivants, et surtout leur identité, restent inconnus jusqu'au soir du 18 avril.

Raison: les journaux sont tributaires de la White Star Line, qui cache encore l'ampleur du désastre. Les reporters n'ont plus qu'à attendre l'arrivée du Carpathia au port de New York. «L'horrible doute cessera ce soir», titre La Presse le 18 avril.

Mais, déjà, le nombre insuffisant de canots de sauvetage est critiqué, tout comme l'imprudence du capitaine, qui avait été averti de la présence des glaces.

En attendant les faits, les journaux spéculent -parfois avec lyrisme- sur ce qu'ont pu vivre les victimes plongées «dans un gouffre glacé aux profondeurs insondables» (La Presse, 16 avril 1912) et enjolivent le tout de dessins étonnants de fantasmagorie, comme cette illustration de créatures marines divines brandissant une stèle en hommage aux «héros de la catastrophe» (La Presse, 20 avril 1912). «Le Titanic, lancé à toute la vitesse de ses puissantes machines, voulait dépasser tous les records du monde, écrit La Presse le 19 avril. Il n'a réussi qu'à dépasser celui des désastres.»

Merci à l'équipe du service des archives de La Presse pour sa précieuse collaboration.