Déterminée à ce que des élections législatives aient lieu dès le 28 novembre, l'armée égyptienne au pouvoir a présenté des excuses officielles, hier, pour les morts survenues dans les affrontements avec les insurgés de la place Tahrir. Des excuses très mal reçues par les manifestants qui demandent encore et toujours que le Conseil suprême des forces armées remette le pouvoir à un gouvernement du salut national civil.

«Qu'est-ce qu'ils nous disent là? On est désolés de vous avoir tués?»

Le cynisme régnait, hier, place Tahrir. Le Conseil militaire venait officiellement d'exprimer «ses regrets» et de présenter «ses profondes excuses pour la mort en martyrs d'enfants loyaux de l'Égypte» durant les affrontements violents des derniers jours.

Trente-huit morts et deux mille blessés plus tard, le Conseil militaire se dit donc désolé et souhaite que des élections législatives aient lieu comme prévu dès lundi. Qu'en pensent les militants du Mouvement du 6 avril, fer de lance de la révolution égyptienne?

«Imaginez qu'on ait tué votre fils, votre frère, votre soeur et qu'on vienne vous dire après: je m'excuse. Ils s'attendent à quoi? Que l'on dise O.K., merci, tout est beau?», me dit, le regard furieux, Ghada Kamal, 28 ans, assise près de la tente qui sert de quartier général aux jeunes militants de son mouvement.

Que justice soit rendue

Les excuses de l'armée, Ghada n'en veut pas. Ce qu'elle veut, c'est que justice soit rendue. Que l'armée aux mains tachées de sang cède le pouvoir aux civils. Que ceux qui ont tué soient traduits en justice. Que ceux qui sont morts ne soient pas morts pour rien.

Elle a vu trop d'horreurs. Ses yeux s'embrouillent quand elle parle de son ami Mina Daniel, jeune révolutionnaire, mort dans le massacre de Maspero, le 9 octobre. Ce soir-là, 27 personnes, dont une majorité de coptes, ont été tuées après une intervention sanglante de l'armée durant une marche de solidarité.

Depuis six jours, l'escalade du pire se poursuit. Ghada a elle-même le bras en écharpe. Elle a été atteinte par une balle dimanche, dit-elle, comme si c'était un détail sans importance. Elle était sur la ligne de front, rue Mohamed Mahmoud, la rue de tous les combats qui débouche sur Tahrir. Elle y a perdu connaissance quatre fois, sous l'effet du gaz lacrymogène. Mais il y a pire, dit-elle. Elle a vu un bébé de 8 mois atteint par une balle perdue. Elle a vu son ami Ahmed Harara, nouveau héros de la révolution, perdre un oeil puis le second sous les balles des policiers. Elle a vu des snipers tirer sur les insurgés, en visant délibérément la tête et le coeur. Elle a vu de jeunes femmes se faire battre par des militaires. Pour toutes ces raisons et bien d'autres encore, elle ne veut pas des excuses du Conseil militaire. Elle ne quittera pas Tahrir tant que l'armée n'aura pas quitté le pouvoir.

Frères musulmans

Même si une trêve négociée par des religieux musulmans a été conclue hier, les indignés de Tahrir étaient plus que jamais sur leurs gardes. Ils redoutent les fiers-à-bras qui pourraient s'infiltrer dans la foule pour semer le chaos et donner un prétexte à l'armée pour évacuer la place Tahrir. «Nous en avons identifiés quelques-uns et nous les avons expulsés», dit Mohamed Sultan, ingénieur de 26 ans qui fait partie de l'équipe d'agents de sécurité bénévoles mise sur pied par les manifestants.

Depuis hier, ces agents fouillent plus scrupuleusement encore les gens aux postes de contrôle entourant la place. Ils vérifient toutes les poches pour s'assurer que personne ne transporte une arme. Et ils sont désormais clairement identifiés par un dossard orange fluorescent.

Autre nouveauté hier: des membres des Frères musulmans se sont présentés à la place Tahrir. Ils ont tenté de convaincre les manifestants de rentrer sagement chez eux afin que les élections, dont ils prévoient être les vainqueurs, puissent bel et bien avoir lieu dès lundi.

Les manifestants interrogés ont tous qualifié la manoeuvre d'opportuniste. «Ils ne viennent pas à Tahrir avec nous quand des gens meurent! Mais ils viennent quand c'est dans leur propre intérêt», dit Mohamed Mahmoud, militant du Mouvement du 6 avril.