John R. MacArthur, directeur du prestigieux mensuel new-yorkais Harper's, se souvient d'un temps pas si lointain où on lui demandait «sans arrêt de parler à la télévision et à la radio» américaines. C'était l'époque où George W. Bush était à la Maison-Blanche. Or, depuis le départ du 43e président, les médias américains ne veulent plus entendre les critiques de MacArthur. Mais une surprise attendait l'élégant journaliste né d'une mère française et d'un père américain.

«Ma carrière française a commencé à fleurir après l'arrivée au pouvoir de Barack Obama», dit en souriant l'auteur de L'illusion Obama, un recueil de chroniques implacables qui paraîtra au Québec le 4 octobre chez Lux Éditeur et en France aux éditions Les Arènes (la plupart des textes ont d'abord été publiés dans Le Devoir).

«Dans l'esprit français, et cela s'applique au Québec, on n'est pas obligé d'être d'accord avec quelqu'un pour lui permettre de s'exprimer. On m'accuse d'être un ogre, un agent de la droite, mais on ne me censure pas. Ici, aux États-Unis, c'est l'autocensure. On ne veut pas entendre dire qu'Obama a trahi les valeurs de la gauche.»

La Presse a interviewé MacArthur cette semaine dans un restaurant de Manhattan.

Q: Vos textes publiés en 2008 témoignent de votre scepticisme à l'égard du phénomène Obama. D'où venait votre méfiance?

R: La différence entre moi et les autres analystes est que j'ai vécu à Chicago pendant très longtemps. Je connais les règles de la machine démocrate de Chicago. Et les règles dictent que personne n'avance sans avoir fait des compromis et avoir rendu service au chef, (le maire) Richard Daley fils, qui a, à mon avis, choisi Obama.

Q: Mais Daley n'a-t-il pas appuyé un des adversaires d'Obama lors de la primaire démocrate pour l'élection sénatoriale de 2004 en Illinois?

R: C'est un détail. Cela relève de la realpolitik.

Q: Vous écrivez que la nomination de Rahm Emanuel comme chef de cabinet d'Obama «a tué l'espoir» d'un changement réel à Washington. Pourquoi?

R: Le choix de Rahm Emanuel était une bonne façon de dire, en bon français, «allez vous faire foutre, les progressistes, les gauchistes, les réformistes». Parce que Rahm Emanuel, je le connais très bien à cause de son grand rôle dans la promulgation de l'ALENA. Il incarne la vieille politique de Daley, le clientélisme, le pouvoir cru. C'est un type corrompu jusqu'à ses racines. Il a un mépris pour les gens comme moi ou ceux qui ont vraiment soutenu la candidature d'Obama. Sa nomination était une insulte.

Q: N'accordez-vous pas à Obama quelque mérite pour avoir évité aux États-Unis de sombrer dans une dépression en stabilisant le système financier, en promulguant un plan de relance économique de 787 milliards de dollars et en relançant l'industrie automobile?

R: Pour moi, c'est une énorme occasion ratée. Non seulement Obama a-t-il raté une occasion de réformer le système de haut en bas, mais on souffre encore de la timidité de son programme de relance. Et ce qui m'inspire le plus grand mépris, c'est son refus d'affronter vraiment les républicains sur les réductions d'impôts de l'ère Bush et le taux d'imposition des plus-values.

Q: Que pensez-vous de la réforme d'Obama sur la santé, qui est décrit comme sa plus grande réalisation?

R: J'ai rencontré dans un cocktail Robert Caro, le grand biographe de Lyndon Johnson. Choqué, il m'a dit: «Imaginez donc Lyndon Johnson, donnant à Max Baucus, sénateur du Montana, le dossier de la réforme santé. C'est impensable, c'est hallucinant». Et pourtant, c'est ce qu'Obama a fait. Et ils ont accouché de Romneycare après avoir éliminé l'option publique et fait tout pour rassurer les assureurs privés. Cette réforme renforce les sociétés d'assurance privées.

Q: Qu'allez-vous faire le 6 novembre, jour de l'élection présidentielle?

R: Je vais probablement voter pour la candidate du Parti vert.