Les défis technologiques du forage en haute mer augmentent plus vite que les mesures de sécurité ne s'améliorent, déplore un spécialiste suédois des marées noires. La semaine dernière, dans le prestigieux magazine Nature, le biologiste Arne Jernelöv, de l'Institut de recherche sur la réduction des marées noires de Stockholm, affirme que la seule solution vraiment sûre est d'obliger les sociétés pétrolières à forer en parallèle deux puits pour qu'il y ait une soupape de sécurité en cas d'accident, ce qui doublera les coûts.

Cette mesure est justement au coeur du débat canadien sur l'exploration pétrolière dans la mer de Beaufort et au large de Terre-Neuve. Le gouvernement veut obliger les pétrolières à soumettre un plan pour un puits de secours qui réduise la pression et arrête le flot de pétrole pour qu'en cas de désastre, on puisse le mettre en service le plus rapidement possible. De son côté, le premier ministre de Terre-Neuve a rejeté la proposition de groupes environnementaux d'obliger les entreprises à creuser deux puits en même temps pour que le puits de secours puisse arrêter la marée noire en quelques jours.

«Pour le moment, creuser le puits de secours en même temps que le puits principal est la seule solution sûre pour colmater un puits sous-marin qui fuit, dit M. Jernelöv, joint par téléphone. On fait maintenant des forages à de très grandes profondeurs, dans des eaux froides et dans des mers agitées. C'est tout à l'honneur des ingénieurs qu'on y parvienne, mais les progrès des systèmes de sécurité n'ont pas été aussi rapides.»

Qu'en est-il des fameux capteurs acoustiques, qui peuvent détecter les pics de pression à des centaines de mètres de profondeur sous le plancher océanique, donnant jusqu'à une minute d'avertissement pour fermer la tête de puits? «C'est une très bonne idée sur papier, mais elle n'a pas été beaucoup testée en conditions réelles», dit M. Jernelöv.

L'institut où travaille M. Jernelöv a été mis sur pied par la Suède dans les années 70, pour recueillir des données sur les marées noires et les manières de les combattre. «Nous avons acquis tellement d'expertise que l'ONU fait souvent appel à nous pour lutter contre les marées noires dans les pays en voie de développement.»

Taille des marées noires

Au fil des ans, la taille des marées noires a diminué, de 314000 tonnes par année dans les années 70 à 21000 tonnes par année depuis 2000. Au contraire, les bris de pipelines ont augmenté: ils sont passés de 50 par année dans les années 70 à plus de 350 depuis 2000. Les fuites de puits de pétrole sous-marins sont assez rares pour qu'il soit difficile d'établir une tendance, mais, en moyenne, elles totalisent 20000 tonnes par année. Les estimations de la marée noire de Deepwater Horizon vont de 250000 à 400000 tonnes.

«Les bris de pipelines libèrent moins de pétrole dans l'environnement, mais il faut souvent un certain temps pour les détecter, dit M. Jernelöv. Il y a aussi un gros problème de données sur les fuites dans les puits sous-marins. Une base de données norvégienne a recensé 573 fuites de ce genre depuis 1955, mais seules les sociétés pétrolières ont accès à ces données.»

Le portrait est compliqué par de nombreuses fuites «naturelles» de pétrole. «Les réservoirs sous-marins émettent naturellement une bonne quantité de pétrole, dit M. Jernelöv. Dans le golfe du Mexique, on parle de 140000 tonnes par année. Le problème avec Deepwater Horizon, ce n'est pas seulement la taille de la fuite, mais le fait qu'elle se trouve dans le nord du Golfe et surtout que sa pression est énorme.»