Une semaine après la tuerie, la police norvégienne s'apprête encore une fois à interroger Anders Behring Breivik, l'extrémiste de 32 ans qui a tué 76 personnes en seulement quelques heures. Avant de plonger son pays dans le deuil, l'extrémiste de 32 ans a rédigé un manifeste troublant, qui se lit aussi comme un journal intime.

Anders Behring Breivik s'était donné comme mission d'écrire un guide du parfait terroriste pour enseigner aux militants d'extrême droite comment «délivrer l'Europe de l'islamisation». Mais n'arrivant pas à trouver les trois millions d'euros nécessaires pour le publier, le Norvégien de 32 ans a jugé que la meilleure publicité pour ses écrits était encore de passer à l'acte.

D'abord écrit pour illustrer la «menace islamique» et les moyens de la contrer, le manifeste de 1518 pages du Norvégien de 32 ans devient au fil du temps un journal intime rédigé pendant 9 ans.

Dans son texte parsemé d'émoticônes et d'expressions propres au monde du clavardage, Breivik se décrit comme un être «asocial». Afin de s'isoler de ses quatre seuls amis, il raconte être retourné vivre chez sa mère. «Certains vont penser qu'il faut être un énergumène pour vivre chez ses parents à 31 ans, mais ce n'est pas important pour un chevalier justicier», écrit-il, en référence au statut qu'il aurait occupé dans l'organisation qu'il dit avoir créée pour vaincre l'islamisation de l'Europe, les Chevaliers templiers.

Breivik écrit également être devenu quelque peu paranoïaque durant ses préparatifs, obsédé par la possibilité d'être surveillé par la police. Il raconte ainsi comment il a caché son manifeste sur des clés USB qu'il dissimulait ensuite dans les murs de sa chambre pour ensuite détruire périodiquement le disque dur de son ordinateur. Il rapporte comment, après avoir emménagé dans une ferme pour produire ses explosifs, il paniquait à la vue de la moindre voiture. «Que devrais-je faire si je suis sur le point de me faire violé (sic) par un commando de policiers?», écrit-il un jour.

Quand il n'est pas en train de préparer son opération, Breivik dit passer son temps à jouer aux jeux vidéo. S'il préfère les jeux de rôle médiévaux, il confie qu'il apprend les rudiments du combat en jouant à Modern Warfare 2, une simulation de tir. Le jeune Norvégien s'avère également un grand amateur du concours européen de chanson Eurovision. Il a même suspendu sa production d'explosifs en mai 2011 pour écouter la finale.

Breivik adore aussi les séries télé comme Dexter, trouvant «hilarant» le personnage principal qui mène une vie d'expert médico-légal le jour et de tueur en série la nuit. Lui-même aime bien l'idée de vivre une double vie. Son manifeste relate sa satisfaction lorsqu'il se trouve invité dans une soirée de jeunes professionnels, s'imaginant leur effarement si ces gens «politiquement corrects» découvraient qu'il était en vérité un chevalier justicier. «Ça mettrait probablement fin à leur belle carrière», rigole-t-il.

Apôtre de la chasteté

Au-delà de sa haine envers l'Islam, Breivik consacre une importante partie de son manifeste à la «déchéance des moeurs sexuelles» en Europe, dont il attribue la responsabilité aux femmes. Il s'inquiète au passage de la baisse de la fertilité pour la survie de la race «nordique». Il a même établi un classement des pays en fonction de la susceptibilité des femmes à avoir des relations sexuelles avant le mariage et le nombre de leurs partenaires sexuels. Breivik juge ce classement scientifiquement fiable puisqu'il est basé sur son expérience et celle de ses amis. Il qualifie au passage la moitié de ses amies de «prostituées».

Dans ses écrits, Breivik dit vouloir convaincre les gens d'abandonner leurs comportements sexuels en glorifiant la chasteté et la chevalerie. Lui-même dit s'être abstenu de relations sexuelles pendant les deux dernières années pour rester concentré sur sa mission. Et ce, malgré les avances reçues grâce à son corps «presque parfait», écrit le Norvégien qui utilisait des stéroïdes pour se muscler.

Plus tard dans son manifeste, il admet pourtant avoir fait appel aux services de deux prostituées lors d'un voyage à Prague, en République tchèque. «Baiser hors du mariage est un bien petit péché pour toute la grâce que je vais générer avec mon opération martyre», se défend-il. Il ajoute vouloir se payer les services d'une «escorte de haute qualité» une semaine avant son opération pour évacuer le stress.

S'il détestait avant tout les musulmans, Breivik disait vouloir s'attaquer aux «élites corrompues vendant l'Europe à l'esclavage musulman». Ainsi, avant de décider de frapper le Parti travailliste, Breivik avait également envisagé de s'attaquer à un important congrès de journalistes qui se tient tous les ans à Oslo. Son objectif ultime aurait toutefois été de tuer un chef d'État, ciblant ceux des États-Unis, de l'Allemagne, de la France, du Royaume-Uni et même du Canada.

Outre les attentats à la bombe et les fusillades, Breivik écrit dans son manifeste avoir envisagé d'utiliser des armes de destruction massive, chimiques et même nucléaires. Il avait aussi élaboré un scénario pour prendre d'assaut une centrale nucléaire afin de la faire exploser.

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Chronologie d'un massacre

Printemps 2002

Breivik dit s'être rendu à Londres à l'invitation d'un «héros de guerre» serbe pour fonder les Chevaliers templiers d'Europe afin de mener une croisade contre l'islamisation. Ses écrits ne font toutefois mention d'aucun autre contact avec ce groupe dont il se considère comme le chef. Il passe les sept années suivantes à rédiger un manuel de terrorisme.

Automne 2009

La rédaction de son manifeste terminée, la préparation des attaques commence. Breivik crée deux fausses entreprises pour justifier l'achat des ingrédients nécessaires aux explosifs. Il passe ensuite cinq mois à recueillir près de 5000 courriels de sympathisants d'extrême droite en vue de leur envoyer son manifeste une heure avant les attaques. Un ancien élu de droite, Jan Simonsen, a confirmé au quotidien norvégien VG l'avoir reçu. «C'est effrayant qu'il ait envoyé tous les détails de son plan une heure avant d'attaquer. Mais personne n'avait le temps de lire ce document à temps.»

Août et septembre 2010

Breivik tente de se procurer illégalement des armes d'assaut en République tchèque, mais échoue. De retour en Norvège, il achète légalement un Ruger mini 14.

Hiver 2011

Le manifeste détaille comment Breivik a réussi à se faire livrer plusieurs produits hautement dangereux pour préparer ses explosifs sans être ennuyé par les douaniers. La production débute en mai dans une petite ferme qu'il loue.

13 juin

Breivik se rend dans un endroit isolé pour tester une première bombe. «Si ça ne fonctionne pas, j'abandonnerai mon plan A pour passer à un plan B, moins spectaculaire.» L'engin explose. «Aujourd'hui a été une bonne journée», se félicite-t-il dans son manifeste.

18 juin

La propriétaire de la ferme informe Breivik qu'elle compte le visiter. Paniqué à l'idée qu'elle découvre ses installations, il envisage de l'assassiner. Elle ne viendra que quelques jours plus tard, ce qui permettra au jeune homme de dissimuler son matériel.

2 juillet

Breivik se familiarise avec le trajet entre le centre-ville d'Oslo et l'île d'Utoya. Le soir, il invite sa mère à souper et sort avec un ami pour parler politique.

18 juillet

Il bourre sa camionnette d'explosifs et décide de perfectionner ses détonateurs.

22 juillet

Dans sa dernière entrée, Breivik se dit fin prêt à déclencher 20 bombes. Si l'opération échoue, il deviendra mercenaire pour payer ses dettes.