Liu Xia, l'épouse du Nobel chinois emprisonné Liu Xiaobo, elle-même placée en résidence surveillée, est une femme poète et photographe qui vivait loin de la politique jusqu'au jour où elle a rencontré Liu et n'a eu de cesse de se battre à ses côtés.

Rien ne prédestinait cette femme petite et menue bientôt quinquagénaire, le crâne aux cheveux ras comme une nonne bouddhiste, à l'âpre combat pour une démocratisation de la Chine du parti unique.

Pékinoise issue d'une famille très unie, Liu Xia s'est passionnée jeune pour la poésie, la peinture et la photographie.

Lassée de son emploi d'éditrice dans une maison d'édition financière dans les années 80, elle part seule voyager huit mois au Tibet. Au retour, elle reprend un travail de fonctionnaire des impôts. Pas pour longtemps.

«C'est une personnalité très originale, un peu poète, un peu hippy», dit d'elle Jean-Philippe Béja, sinologue et ami de longue date de Liu Xia et Liu Xiaobo.

La vie de la jeune Chinoise bascule lorsqu'elle fait la connaissance de Liu Xiaobo en 1982 à des rencontres de poésie. Ils publieront ensemble, à Hong Kong, un recueil de poèmes inspiré par leur amour.

«Elle n'était pas du tout politique, elle a appris très vite la politique avec Liu Xiaobo», explique M. Béja à l'AFP.

Le dissident connaît déjà à l'époque les rigueurs de la privation de liberté et le couple ne peut commencer à vivre ensemble avant 1994.

En 1998, elle épouse Xiaobo pour pouvoir lui rendre visite dans son camp de travail du nord-est de la Chine, dont il ne ressortira que l'année suivante. Ils n'auront pas d'enfant.

«Elle s'est merveilleusement battue pour Liu Xiaobo», dit M. Béja, «comme une femme qui aime son mari et se bat pour lui. Elle est toujours à ses côtés, mais elle n'est pas engagée elle-même».

Liu Xia «n'a jamais eu peur d'avoir des ennuis à cause de son mari, elle s'est battue, elle lui a trouvé ses avocats. Elle a pris des risques pour lui», ajoute M. Béja.

«C'est une femme au grand coeur, elle a toujours soutenu Liu Xiaobo», dit lui aussi à l'AFP Me Shang Baojun, l'avocat qui l'a défendu.

«Avant que Liu soit emprisonné, elle avait toujours peur qu'il ait des ennuis. Mais (maintenant) elle est devenue très forte», dit-il.

À un journal en chinois de Los Angeles, le World Journal, qui lui avait demandé pourquoi elle avait épousé Xiaobo, elle avait répondu: «pour sa force et sa ténacité».

C'est une femme qui «a beaucoup d'humour» et «donne une impression de fragilité mais a un caractère très solide», dit encore M. Béja, au sujet de Liu Xia qui, fait rare pour une Chinoise, est une grosse fumeuse et experte en vin rouge, français notamment.

Depuis l'annonce de l'attribution du Nobel de la paix 2010 à son époux, Liu Xia a été placée en résidence surveillée à Pékin. Sa seule sortie autorisée a été la visite qu'elle a rendue à son mari, sous bonne escorte, dans sa prison du Liaoning, au nord-est du pays.

Depuis la condamnation de Liu Xiaobo à 11 ans de prison le jour de Noël 2009, elle souffre d'insomnie, disent des amis chinois qui s'inquiètent de sa santé.

Combat politique aidant, la poétesse totalement ignorante des nouvelles technologies qui ne savait pas utiliser un portable, s'est mise, depuis la dernière incarcération de son époux en décembre 2008, aux SMS, aux emails, à l'internet. «Et maintenant elle twitte!!», dit M. Béja.

Protestations sur Twitter

C'est sur le site de microblogues qu'elle a protesté mercredi contre son «assignation illégale à résidence» et affirmé avoir été empêchée de rencontrer des diplomates norvégiens venus la voir.

«Je proteste vigoureusement contre le gouvernement pour mon assignation illégale à résidence», une situation «difficile à accepter», a écrit la femme du dissident.

Les États-Unis et l'Union européenne ont appelé la Chine à lui restituer sa liberté de mouvement.

Plus tôt mercredi, Liu Xia avait affirmé, toujours sur Twitter, avoir été empêchée de rencontrer des diplomates norvégiens, venus à son domicile de Pékin où elle est gardée jour et nuit, avec des accès à l'immeuble filtrés.

«Hier, des diplomates norvégiens sont venus pour m'apporter leur soutien et on leur a barré la route au portail principal», a déclaré Liu Xia.

L'ambassade de Norvège à Pékin, contactée par l'AFP, a confirmé que deux de ses diplomates avaient tenté en vain de rendre visite à Liu Xia.

Ils étaient venus «vérifier comment elle allait», a dit à l'AFP Tone Helene Aarvik, porte-parole de l'ambassade.

Mardi, l'épouse du Nobel avait indiqué au site internet français Mediapart être prête à se rendre en Norvège pour y recevoir le prix prestigieux au nom de son mari.

Dans un nouveau message en soirée sur Twitter, elle a annoncé: «ma mère de 77 ans est venue me voir aujourd'hui, parce que je n'ai pas téléphoné à ma famille hier» et celle-ci est «inquiète».

La police interdisait toujours aux journalistes de s'approcher du domicile de Liu Xia, restreignant ses moyens de communiquer avec l'extérieur.

Après que son téléphone portable eut été mis hors d'usage peu après l'attribution du prix à son mari, Liu Xia s'est fait prêter un autre téléphone, qu'elle n'a pu utiliser qu'une journée.

«J'avais ce téléphone depuis seulement un jour et il a déjà été désactivé par les vandales», a-t-elle raconté sur Twitter.

Un des avocats de Liu Xiaobo a assuré mercredi ne pas être en mesure d'entrer en contact avec Liu Xia.

«Nous ne pouvons pas la contacter actuellement. Nous ne faisons qu'attendre en espérant trouver bientôt un moyen d'entrer en communication avec elle», a déclaré à l'AFP Shang Baojun.

Cet avocat a annoncé mardi à l'AFP envisager de demander un nouveau procès pour leur client, en prison depuis près de deux mois.

Liu Xiaobo est devenu vendredi le premier citoyen chinois à se voir décerner le Nobel de la paix, ce qui a ulcéré Pékin qui a annulé des rencontres officielles et une manifestation culturelle avec la Norvège.

Âgé de 54 ans, il a été condamné après avoir été l'un des auteurs de la «Charte 08», un texte qui réclamait une Chine démocratique.

Depuis l'octroi du Nobel à Liu, de nombreux pays ont lancé ou réitéré des appels à sa libération, tandis que les militants chinois des droits de l'homme espèrent des retombées positives pour les autres dissidents.

Mais plusieurs opposants ont indiqué à l'AFP être suivis par la police ou entravés dans leurs déplacements. Reporters sans frontières a annoncé de son côté que le forum de discussion 1984BBS, utilisé par de nombreux journalistes, avait été fermé sous la pression policière.

Peut-être enhardis par le Nobel, d'anciens hauts responsables du parti communiste et de médias chinois ont appelé mercredi Pékin à des réformes politiques, dans une lettre ouverte audacieuse rapidement censurée.