Amis de longue date au Moyen-Orient, Israël et la Turquie voient ces jours-ci leur relation privilégiée dépérir à la vitesse grand V. Depuis qu'Israël a attaqué le 31 mai dernier une flottille humanitaire qui se rendait à Gaza, tuant neuf citoyens turcs à bord, rien ne va plus entre les deux alliés. Hier, dans un ultimatum publié dans les journaux, la Turquie menaçait même de couper tout lien diplomatique avec l'État hébreu. Survol des enjeux d'un bras de fer entre vieux amis.

Q Quel ultimatum la Turquie a-t-elle lancé à Israël?

R L'ultimatum est venu du ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, alors qu'il s'entretenait avec des journalistes. Le chef de la diplomatie turque a affirmé qu'Israël avait trois options. Soit qu'Israël s'excuse pour l'attaque perpétrée contre le Mavi Marmara en eaux internationales et pour la mort de neuf citoyens turcs; soit que l'État hébreu accepte qu'une enquête internationale impartiale fasse la lumière sur l'affaire; soit qu'Israël oublie ses liens diplomatiques avec la Turquie.

Q Comment Israël a réagi à cette menace?

R Hier, un haut responsable du bureau du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a affirmé qu'Israël «ne s'excusera jamais» auprès du gouvernement turc pour le raid du 31 mai, répétant du coup ce que M. Nétanyahou a lui-même dit vendredi dernier. Pour le moment, Israël refuse aussi une enquête internationale supervisée par les Nations unies et propose plutôt de mener sa propre enquête sur les événements du 31 mai.

Q Dans les faits, où en sont les relations diplomatiques israélo-turques?

R Depuis qu'Israël a bombardé Gaza en décembre 2008 et janvier 2009, les relations entre les deux alliés stratégiques étaient houleuses, mais les échanges à la fois économiques et militaires entre les deux pays étaient maintenus. Au lendemain du raid israélien contre la flottille humanitaire, la Turquie a retiré son ambassadeur en guise de protestation. Des vols militaires israéliens se sont aussi vus refuser l'accès à l'espace aérien. Hier, cette mesure, qui devait être appliquée au cas par cas, est devenue généralisée. Plus aucun avion militaire israélien ne peut pour le moment pénétrer dans l'espace aérien turc. Selon plusieurs experts, ce durcissement démontre qu'une réunion secrète tenue la semaine dernière à Bruxelles entre M. Davutoglu et le ministre israélien du commerce, Binyamin Ben Eliezer, n'a pas donné les résultats escomptés.

Q Que signifierait un bris total des relations diplomatiques entre les deux pays?

R La Turquie fermerait son ambassade en Israël, expulserait les diplomates israéliens de son territoire et pourrait aussi limiter les relations commerciales avec Israël. Les deux pays mettraient fin aussi à tous les échanges militaires qui représentent des milliards de dollars par année.

Q Lequel des deux pays a le plus à perdre?

R Sur cette question, les experts ne s'entendent pas. Ancien ambassadeur du Canada aux Nations unies, expert émérite du Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale et directeur du Centre des relations mondiales à l'Université Wilfrid Laurier, Paul Heinbecker croit qu'Israël serait le grand perdant. «La Turquie perdrait de la technologie militaire et du tourisme, mais pour Israël, l'effet serait plus grand. Notamment, pour se rendre n'importe où vers l'est ou vers le sud, les avions israéliens devraient faire un terrible détour», explique l'ex-diplomate. Hugh Pope, du International Crisis Group, croit pour sa part que la Turquie s'en mordrait les doigts. «En coupant les relations diplomatiques, la Turquie perdrait ses yeux et ses oreilles en Israël. Aussi, l'image de la Turquie comme pays du Moyen-Orient qui entretient les liens les plus étroits avec le plus grand nombre de pays serait ternie. Son prestige diminuerait aux yeux des États-Unis, qui sont très proches d'Israël et de l'Europe, à laquelle la Turquie veut accéder», note M. Pope.

Q Y a-t-il une porte de sortie dans cette crise?

R Les États-Unis en sont une. Le gouvernement Obama, qui entretient des liens étroits avec les deux pays, peut servir de médiateur dans les coulisses. Un éventuel changement de gouvernement en Israël pourrait aussi modifier la donne, mais c'est loin d'être une solution immédiate. L'assouplissement ou la levée de l'embargo israélien contre Gaza pourrait aussi apaiser la Turquie.

Avec la collaboration de Henry Barkey, expert à la Fondation Carnegie pour la paix internationale.

Avec AFP, AP, BBC et Hürriyet.