Même si l'intensité des radiations enregistrées au Japon reste à des années-lumière de celles de Tchernobyl, les produits et les gens en provenance de l'archipel inspirent soudain la méfiance un peu partout dans le monde. À l'intérieur même du pays, les travailleurs qui ont risqué leur santé à la centrale pourraient carrément se voir abandonnés par leurs concitoyens terrifiés. Car l'histoire a montré que les victimes d'accidents nucléaires vivent souvent un deuxième drame: l'exclusion.

Dans des dizaines d'aéroports du monde, les passagers en provenance du Japon doivent se soumettre à un contrôle de plus: un test de radioactivité.

Inquiets des fuites à la centrale nucléaire de Fukushima, plusieurs pays inspectent aussi les bagages, les cargaisons ainsi que les avions et les bateaux en provenance de l'archipel. Cela rappelle la chasse aux passagers grippés qui a marqué l'époque du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et de la grippe aviaire.

De Chicago à Séoul en passant par Paris, les voyageurs et leurs bagages passent à travers des détecteurs de radiations ultrasensibles, qui sonnent comme des détecteurs de métal.

Après l'Union européenne et la plupart des pays d'Asie, les États-Unis entreprennent même de tester les fruits, les légumes, la viande et le poisson importés du Japon. La Malaisie veut aussi inspecter les céréales, les boissons et les conserves. «Si on découvre qu'il y a eu contamination, nous retarderons les importations et ferons des saisies», a par ailleurs précisé un officiel thaï à l'agence de presse Bloomberg.

Dans la foulée, le magazine automobile Inside Line a cru bon d'interviewer Honda, Toyota et Nissan pour s'assurer que leurs voitures ne sont pas radioactives!

«Il ne faut pas accabler davantage les Japonais en exagérant les dangers à l'extérieur de la centrale. Ils ont déjà assez de problèmes», se désole Lysanne Normandeau, physicienne responsable de la radiosécurité à l'hôpital Notre-Dame.

D'après elle, les étrangers exagèrent. La situation au Japon n'a rien à voir avec Tchernobyl, rappelle-t-elle, puisqu'on n'y signale aucun rejet massif dans l'atmosphère. «Si la situation reste stable, seuls les environs immédiats de la centrale seront atteints, dit-elle. Et je ne pense pas que les Japonais vont vendre ce qui a poussé juste à côté de la clôture!»

Malgré tout, cette semaine, la peur a fait dégringoler la valeur des actions des entreprises alimentaires japonaises qui tirent plus de 20% de leurs revenus à l'étranger.

Des pestiférés

Pour Mme Normandeau, tester tous les passagers en provenance du Japon est tout aussi excessif. De faibles taux de radioactivité ont bien été détectés dans les bagages, sur les chapeaux ou les manteaux de plusieurs dizaines d'entre eux, tant à Chicago, à Taïwan et en Corée du Sud. Mais jamais plus d'un microsievert, une dose plusieurs fois supérieure à la normale, mais tout de même infime. «Ça se disperse en l'époussetant; sinon, le vent et la pluie s'en chargent», dit-elle.

Le problème, c'est que les radiations n'ont pas de goût, pas d'odeur, pas de couleur, et que leurs effets sont mal compris, dit Camillo Zacchia, psychologue à l'Institut universitaire en santé mentale Douglas. «Ça me fait penser à la réaction qu'on avait vis-à-vis des gens atteints du sida dans les années 80, dit-il. Par ignorance, certains craignaient de contracter le virus en les touchant.»

Au Japon même, les secouristes et les travailleurs de la centrale - dont quelques dizaines auraient étè irradiés - risquent de connaître le même sort. Bien qu'ils aient été évacués rapidement, les résidants de la zone interdite pourraient aussi apeurer leurs compatriotes dans les prochains mois.

Les victimes d'Hiroshima et de Nagasaki le savent trop bien. Irradiées après l'explosion de bombes nucléaires à la fin de la Seconde Guerre mondiale, elles ont peiné toute leur vie à trouver un emploi ou un conjoint. Même à Tokyo, 50 ans plus tard, leurs enfants et leurs petits-enfants souffrent encore de discrimination, révèle un reportage du quotidien Japan Times. Chiyono Yoneda y raconte que ses nouveaux voisins ont jeté aux poubelles les racines de lotus qu'elle leur avait offertes. Et que sa fille a dû rompre avec son fiancé parce que sa belle-famille était convaincue qu'elle accoucherait d'un enfant difforme.

On plus de «terreur» que de sympathie, a-t-elle expliqué.

Jusqu'à leur mort, des milliers de victimes des bombes ont donc gardé le secret sur leur passé, même si cela les a empêchées de toucher l'allocation versée par le gouvernement aux hibakushas (une étiquette signifiant «victimes de l'explosion»).

«La simple crainte de contracter une maladie provoque déjà beaucoup de détresse, explique Camillo Zacchia. À la base, les malades ont besoin d'être entourés. Quand tout le monde vous traite au contraire en lépreux, ça accentue l'impression que vous souffrez de quelque chose de terrible et, par ricochet, l'anxiété et la dépression.»

Pour éviter que ce scénario se produise avec les héros des centrales japonaises, la population devra être soigneusement informée sur les émissions de radioactivité et les risques réels, estime le psychologue. «C'est essentiel pour contrer les mythes nourris par la peur, dit-il. Quand le danger est nouveau, qu'on ignore comment s'en protéger, on se sent plus vulnérable et l'évitement devient naturel.»

Jusqu'à présent, plusieurs voix se sont déjà élevées pour dénoncer le manque d'information. Des dirigeants de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) se sont carrément rendus au Japon parce qu'ils n'obtenaient pas assez de détails sur les taux de radioactivité enregistrés.

En attendant, le vide laisse beaucoup de place aux rumeurs et aux reportages alarmistes, qui alimentent la paranoïa ambiante. Et les préjugés de demain.