Le 11 mars, le maire de Minamisanriku, Jin Sato, a failli mourir. Il travaillait à l'hôtel de ville lorsque la terre a tremblé. Il a vite compris qu'il y aurait un tsunami.

Il a grimpé sur le toit avec des collègues pendant que les haut-parleurs installés aux quatre coins du village hurlaient aux gens de partir. Alerte au tsunami!

Jamais le maire n'aurait cru que la vague serait aussi monstrueuse. «Même dans mes pires cauchemars», dit-il.

Il l'a vue arriver, jaune, énorme, charriant des tonnes de débris. Elle s'est abattue avec fracas sur l'hôtel de ville, un édifice de quatre étages. Jin Sato s'est accroché de toutes ses forces à la rampe d'escalier qui grimpait jusqu'au toit. Ils étaient 30, terrorisés par l'eau qui arrachait tout sur son passage. Vingt ont été emportés par les flots furieux, dix ont survécu.

«C'était comme si j'avais été en enfer; je pensais à tous les gens qui vivent ici.»

Le 11 mars, lorsque le tsunami a frappé, la télévision montrait toujours les mêmes images: des gens réfugiés sur le toit d'un hôpital et un immense S.O.S. tracé à la main dans la cour d'une école.

Ces images ont été prises à Minamisanriku du haut d'un hélicoptère. Avant le tsunami, 18 000 habitants vivaient dans ce village de pêcheurs. Aujourd'hui, plus personne n'ose avancer de chiffre. Il ne reste qu'une certitude: le nombre de morts. Trois cent vingt-deux. Des corps péniblement extirpés des décombres. Un à un. Combien de vivants? «Je l'ignore», répond le maire. Combien de disparus? «Aucune idée.»

Et combien d'autres cadavres toujours enfouis sous les débris? «Ici, c'était la gare; là, la pharmacie; plus loin, l'hôtel de ville.»

Yoshiyuki Sato balaie l'espace avec de grands gestes de la main. Lui voit sa ville. Moi, je ne vois que la dévastation à perte de vue: du fer tordu, des débris de bois, des pneus, des autos renversées, des bateaux éventrés, de la boue, des arbres arrachés. Tout a été écrasé. Le tsunami a frappé avec une force inouïe. Impossible de reconnaître un soulier ou des jouets. Le tsunami a tout broyé, tout malaxé.

La partie du village qui longe la côte a été littéralement rasée. Un champ de dévastation concentré sur trois kilomètres carrés.

Yoshiyuki regarde ce qu'il reste de sa ville avec incrédulité. Il a fouillé dans les décombres pour retrouver sa maison. Il a eu de la difficulté, car il n'avait plus aucun repère. Il a finalement découvert un morceau du carrelage qui tapissait l'entrée de sa demeure. C'est le seul vestige de sa vie passée. Tout le reste a été emporté par la vague.

«Je viens d'un village qui n'existe plus», dit Yoshiyuki.

Aujourd'hui, la mer est calme, une brise légère souffle sur les décombres, des nuages assombrissent le ciel et les montagnes sont recouvertes de givre. Le calme trompeur d'un village japonais. Le silence, immense, est à peine troublé par le bruit de quelques grues qui ramassent les débris. Un silence de mort.Yukie Sato, aussi, a lutté pour sa survie. Elle était dans son bureau quand le tremblement de terre a secoué le village. Elle s'est précipitée au centre d'évacuation avec des collègues, mais elle s'est vite rendu compte que le bâtiment n'était pas assez haut.

La vague enflait et s'abattait à une vitesse folle sur le village. «Tout le monde paniquait», raconte Yukie. Elle a couru vers la montagne, couru comme une perdue, haut, toujours plus haut, jusqu'au bout de son souffle, aveuglée par la panique. L'eau a même touché ses pieds.

Et sa fille? Elle lui lance un regard attendri et pose sa main sur ses genoux. Elle n'a que 14 ans. Le 11 mars, elle était à l'école, construite dans les hauteurs.

La mère et la fille se sourient, complices. Yukie a perdu sa maison et son travail. Elle vit dans un centre d'hébergement. Leur nouvelle maison se résume à une couverture. C'est leur territoire. À côté, une autre couverture, puis une autre, une autre et encore une autre. Chaque famille a deux mètres carrés d'espace pour vivre, dormir et manger.

Yukie et sa fille se sont installées dans la classe d'une école primaire transformée en refuge. Le jour, elles jouent aux cartes et apprennent à connaître leurs nouveaux amis, leurs voisins de couverture. Tous les jours, les enfants partent avec des seaux qu'ils remplissent d'eau au pied de la montagne. Il n'y pas d'eau dans l'école. La douche se prend aux trois ou quatre jours.

Yukie a les traits fins. Des mèches de cheveux tombent délicatement sur ses lunettes cerclées d'argent. Elle a perdu sa maison et son travail. Son bureau a été avalé par le tsunami.

Pendant que Yukie raconte sa course folle à travers le village le jour du tsunami, un léger tremblement de terre fait tinter les vitres de la classe. Tout le monde se tait, puis un murmure parcourt la pièce. Aucune panique. Une fois la secousse terminée, les gens rient et essaient de deviner la force du tremblement de terre: 4? 5?

Dehors, la pluie s'est transformée en neige. Il fait froid. Des hommes tendent leurs mains vers un feu allumé dans une poubelle. La noirceur tombe rapidement, on ne voit plus les montagnes à l'horizon. Yukie et sa fille retournent dans leur école, où il fait froid. Il n'y a que de petits poêles d'appoint pour chauffer les locaux. Tout le monde vit avec son manteau sur le dos.

Le silence enveloppe le village. Le silence qui suit les grandes catastrophes.