Un Japonais sur cinq mort ou disparu lors du tsunami d'il y a neuf mois habitait Ishinomaki. Cette petite ville de pêcheurs, encore défigurée, panse aujourd'hui ses plaies. Grâce surtout à des milliers de bénévoles, rapporte notre journaliste, qui s'est jointe le mois dernier à ceux de l'ONG japonaise Peace Boat.

Il y a plus que du poisson dans les conserves de la manufacture Kinoya, située sur le littoral d'Ishinomaki. Il y a de l'espoir.

Chacune d'entre elles a été retirée des débris à la suite du tsunami qui a pulvérisé l'entreprise. Aujourd'hui, des employés accompagnés de bénévoles, assis sur des bacs bleus, plongent ces conserves dans l'eau savonneuse et les brossent avec soin. Tous tentent de redonner vie à ces milliers de boîtes dorées, égratignées, rouillées et bosselées.

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Sur le million de conserves entreposées au moment du tsunami, 700 000 ont été retrouvées. La moitié est vendable, de quoi récupérer 1,5 million de dollars.

«On vend les produits endommagés à rabais pour payer les employés, dit le directeur de Kinoya, M. Kimura. Des magasins ou des organisations nous les achètent pour nous soutenir». Chaque boîte de thon, maquereau, baleine, etc. valait de 4$ à 20$.

Une trentaine de bénévoles sont venus avec Peace Boat, une ONG japonaise qui organise des voyages de paix dans le monde et intervient en zones dévastées. Depuis mars, l'ONG a mobilisé 9500 bénévoles qui ont travaillé l'équivalent de 47 000 jours, en majorité à Ishinomaki. La plupart restent quelques jours, d'autres plusieurs mois.

Le gérant de l'entreprise, Aigi Ito, me fait visiter la conserverie: un squelette métallique, baigné par la lumière du soleil qui pénètre par les murs arrachés. Il estime les dégâts à 27 millions de dollars. Il me remet un dépliant publicitaire: on y voit un bâtiment soigné, typiquement japonais, avec devanture en bois et toit en tuiles. Il n'en reste presque rien. Sauf ces conserves, désormais baptisées les «conserves de l'espoir».

L'économie d'Ishinomaki, ville vieillissante de 160 000 habitants, gravitait autour de la pêche. Sur les 2000 pêcheurs d'Ishinomaki, seulement 500 ont repris le travail, dit le porte-parole de la Ville, Yoshinori Sato. Sur les 5000 emplois connexes, 3000 ont été perdus.

Planter des choux

Depuis le tsunami, quelque 100 000 bénévoles ont prêté main-forte à Ishinomaki, estime M. Sato. «Les ONG sont activement engagées dans des zones que les administrations gouvernementales ne peuvent pas couvrir, explique-t-il. Ces groupes échangent avec les sinistrés et agissent en conséquence. Leur rôle est extrêmement important.»

«Sans le travail des bénévoles, nous ne serions pas à la maison, mais à l'hôpital», laisse tomber Mme Suzuki. Elle et son mari, âgés de 77 ans, observent une trentaine de jeunes participants pelleter et bêcher leur vaste jardin boueux. «On avait des pêchers, des kakis, un potager. Tout a été arraché. Le tsunami a laissé 15 voitures et une montagne de débris», raconte Mme Suzuki. Les autorités ont nettoyé sans faire dans le détail; éclats de verre, clous, couteaux de cuisine, tatamis ou blocs de béton d'anciennes clôtures s'y terraient encore.

Depuis mars, une centaine de bénévoles ont retapé la maison du couple - les Suzuki sont restés prisonniers quatre jours au deuxième étage - ou enlevé des débris. «On a demandé de l'aide pour restaurer notre jardin», dit Mme Suzuki. En désignant quelques choux alignés à l'extrémité du terrain défiguré, elle ajoute: «C'est encourageant de voir quelque chose pousser.»

La vie reprend

Seulement le tiers des débris d'Ishinomaki a été ramassé, mais il faut parfois être attentif pour voir des traces du tsunami au centre-ville. Yudai Tadaki, bénévole de Peace Boat, montre du doigt une boutique de bibelots. Vitrine impeccable, décorations de Noël mises en valeur. «Il y avait du verre partout ici, dit-il. Tout était cassé.»

À deux pas de là, la fruiterie Moriya, fondée il y a 80 ans, regorge de produits frais. «J'étais prêt à mettre la clé sous la porte, dit Akira Moriya, 53 ans. Je pensais que ça prendrait un an ou deux pour tout nettoyer». Les étals ont été renversés, les réfrigérateurs brisés, la marchandise gaspillée. Il a eu deux mètres d'eau boueuse dans son magasin. C'était avant le passage des équipes de bénévoles. La fruiterie est le premier commerce à avoir repris ses activités à Ishinomaki, tout juste un mois après les événements.

Depuis, la vie reprend pour les sinistrés. Lentement. «On commence tout juste à relaxer», dit Shinki Miura, 73 ans, accompagné de son épouse. Ils font partie des 16 000 résidants d'Ishinomaki qui vivent dans 7300 habitations temporaires. Ils y sont depuis juin. Un appartement minuscule, mal isolé, où l'on craint l'hiver qui vient.

Leur maison, où ils tenaient un restaurant, a été déclarée zone sinistrée. Ils ont échappé au tsunami qui a tué plusieurs de leurs amis. À ces pertes s'ajoute un défi: les habitations ont été distribuées au hasard, on ne connaît pas ses voisins.

Des bénévoles de Peace Boat cognent d'ailleurs à 4000 portes chaque semaine pour remettre une infolettre et briser l'isolement. «Les gens se plaignent de la solitude. Je reste parfois une heure à discuter avec eux», raconte un jeune Japonais avec sa pile d'infolettres.

L'océan règne en maître

Comme plusieurs sinistrés, M. Miura et sa femme ignorent cependant s'ils pourront reconstruire là où ils habitaient. Le sol le long du littoral à Ishinomaki s'est affaissé de 80 cm à 1,5 m. Résultat? Les marées inondent des quartiers résidentiels, des routes, des zones industrielles. Une réalité d'ailleurs terrible pour la conserverie Kinoya: à l'heure de la marée haute, employés et bénévoles doivent quitter et laisser l'océan prendre les lieux.

La Ville a soumis un plan de reconstruction à sa population à la mi-novembre. Parcs, route surélevée servant de brise-vague, remblaiement de zones affaissées et de larges rues facilitant l'évacuation en cas de tsunami figurent sur son territoire. L'expropriation demeure une zone grise. Les zones détruites seront redessinées. Le porte-parole de la Ville dit qu'ils trouveront des solutions pour les citoyens qui souhaitent retourner y vivre. Le plan devrait être adopté d'ici la fin de l'année. Il faudra 10 ans pour rebâtir la ville.

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Bénévolat à Ishinomaki

L'organisation non gouvernementale (ONG) japonaise Peace Boat, créée en 1983 pour promouvoir les droits de l'homme, l'égalité et le respect de l'environnement et qui intervient en zones dévastées, a envoyé une première équipe et du matériel de secours dès le 17 mars à Ishinomaki. Ils ont depuis coordonné l'envoi de 9500 bénévoles, en majorité dans cette ville. Ces derniers ont nettoyé 1300 édifices et 65 kilomètres de caniveaux. Ils ont servi 110 000 repas chauds et ils ont aidé Ishinomaki à se débarrasser de 17 000 tonnes de poisson pourri.

D'autres organisations établies comme Japan Red Cross, JEN ou Caritas Japan sont intervenues à Ishinomaki. Plusieurs entreprises japonaises organisent aussi des fins de semaine de bénévolat pour leurs employés qui désirent donner un coup de main. Des groupes sont aussi nés spontanément; c'est le cas de It is not just mud, créé par un Britannique, ou de NADIA, fondé par la Québécoise Christine Lavoie-Gagnon qui vit au Japon depuis 17 ans. Les quelque 500 bénévoles mobilisés par NADIA ont nettoyé 150 maisons en six mois ainsi que l'outillage d'une manufacture liée à la pêche afin de récupérer la machinerie. Comme celle-ci le dit si bien, «les mains n'ont pas de nationalité».

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La catastrophe en chiffres

- Bilan des événements du 11 mars: 15 840 morts, 3546 disparus et 5951 blessés.

- Coût des dégâts du tsunami: 220 milliards.

- Quantité de débris au Japon: 27 millions de tonnes.

- Quantité de débris à la dérive dans l'océan Pacifique: 20 millions de tonnes.

- Hauteur estimée de la plus haute vague du tsunami: 37,9 mètres.

- Nombre de maisons temporaires construites par l'État: 52 500.

- Impact sur la centrale de Fukushima Daiichi: le plus grave accident de l'histoire du nucléaire civil depuis Tchernobyl.

Sources: Agence de la police nationale; Nagahisa Hirayama, professeur de génie civil à l'Université de Kyoto; Université d'Hawaii; Institut de recherche sur les séismes de l'Université de Tokyo.