Haïtiens de Montréal et Haïtiens de passage ici se sont parlé franchement, hier, et ont semoncé d'une même voix aussi bien les représentants du gouvernement haïtien sur place que le trop-plein de «touristes humanitaires à l'affût de victimes à se mettre sous le stéthoscope», dixit Nago Humbert, président de Médecins du monde Suisse.

Quelque 600 personnes prennent part depuis hier, à l'École polytechnique, à un colloque sur la reconstruction d'Haïti. Échanges musclés? Euphémisme! De sérieux coups de gueule ont été assénés... dans la bonne humeur malgré tout.

 

«Il y a absence d'État en Haïti, l'État y est fantomatique, et ça date de bien avant le tremblement de terre», a lancé Daniel Holly, professeur de science politique à l'UQAM. Il a ajouté qu'Haïti se meurt d'immobilisme et d'un trop-plein d'études inutiles.

Reconstruire Haïti? Mais comment y arriver quand «la classe politique haïtienne est imperméable à toute modernité? Y aurait-il chez nous une pulsion suicidaire inconsciente?»

«Assez de cet exercice de flagellation publique», a répliqué Jean-Claude Fouron, cardiologue pédiatrique à l'hôpital Sainte-Justine, toujours très en lien avec son pays d'origine. Le Dr Fouron a parlé d'action et de priorités: «On ne peut pas se lancer dans le béton et laisser entre-temps mourir les gens.»

Vite, la priorité aux soins de santé, a-t-il dit. «À la naissance, chaque Haïtien a 21% de risque de ne pas être vivant à 40 ans. Et au Canada, on a droit à 20 ans de vie de plus. Tout ça, c'est inacceptable.»

Pour être en santé, les Haïtiens ont aussi besoin d'abris. De maisons. Gonzalo Lizarralde, professeur adjoint d'architecture à l'Université de Montréal, a fait plusieurs mises en garde. La plus importante: attention à l'étalement urbain, même si les terrains sont moins chers dans la lointaine banlieue. «Une maison, c'est bien, mais la mère seule qui n'a plus près de chez elle la tante ou l'amie d'à côté chez qui elle allait normalement déposer ses enfants le matin ne pourra partir au boulot si elle habite désormais en banlieue.»

En toile de fond de tout cela, une question centrale: faut-il reconstruire Port-au-Prince là où il est, en plein sur une faille sismique? «Poser cette question en termes purement scientifiques est très réducteur», a dit Éric Calais, professeur de géophysique à la Purdue University, aux États-Unis, après avoir pourtant fait état de la fragilité de la terre sur laquelle est bâti Port-au-Prince.

Des solutions existent

«D'autres villes - San Francisco, Los Angeles, Santiago, plusieurs villes japonaises - sont construites sur des failles bien plus dangereuses. Il n'y a pas de fatalité face au risque, mais une responsabilité.»

Des solutions techniques existent, elles ont d'ailleurs permis au Chili comme aux États-Unis de limiter nettement le nombre de morts quand la terre tremble chez eux.

Rare note d'espoir pour les participants du colloque, qui se sont fait rappeler toute la journée à quel point leur mère patrie est blessée et à quel point le travail est colossal, surtout dans la mesure où la corruption y est historiquement rampante.

«Haïti demeure le principal responsable de ses malheurs et doit demeurer le principal acteur de sa régénération, a dit le professeur Samuel Pierre, organisateur du colloque. Haïti est tombé. Haïti se relèvera.»