Il a attendu deux mois pour reprendre ses pinceaux. Contrairement à d'autres, Raymond Beauduy n'a pas peint dans l'urgence qui a suivi le séisme. Besoin de «réfléchir» et de «penser» au drame que venait de vivre Haïti, son pays. Et besoin de trouver un toit.

Les paysages pittoresques de champs et de paysans aux couleurs bigarrées sont toujours là. L'âme de la peinture naïve de l'île caribéenne.

Mais désormais, cet artiste de 50 ans ajoute au centre de ses oeuvres, des maisons en ruine ou branlantes et des corps gisant au milieu des rues. Avec des tons gris, tristes. Au centre de la toile «car seule Port-au-Prince a été frappée, la campagne elle n'a rien eu», explique le peintre à la barbe grisonnante.

Disparue la sirène simbi, l'esprit vaudou de l'eau qu'il a croisé sur une plage proche de Jacmel alors qu'il avait 14 ans. Cette créature au sourire interrogateur, qui trônait toujours sur ses toiles et habitait ses songes, est partie.

«Les esprits étaient absents ce jour là», dit le peintre.

Comme beaucoup, il a tout perdu le 12 janvier. Quelque 100 jours après, il a bien retrouvé un atelier, prêté par un ami. Mais il vit toujours dans une tente. Et s'est remis à peindre, même si ce n'est pas facile, avoue-t-il.

«Ca fait mal, en tant qu'Haïtien et en tant qu'artiste», raconte-t-il en français avant de passer au créole «pour bien expliquer tout ce qui passe».

«C'est difficile de peindre car il faut bien représenter ce que tout le monde a vu, tout ce que le peuple haïtien a souffert, toute cette masse qui nous a frappés», dit-il.

«Ca m'a changé complètement car ça me fait réfléchir d'une autre façon. Maintenant, tout le monde doit recommencer sa vie, reconstruire Haïti. Et nous devons garder l'espoir.»

Au bord des routes comme dans les galeries de Pétionville, sur les hauteurs de la capitale, les peintres haïtiens exposent leur vision de la catastrophe qui a coûté la vie à au moins 220 000 de leurs compatriotes et ravagé une partie de leur patrie.

Beaucoup ont conservé les attributs colorés et dépouillés de l'art naïf. Ici, le Palais national, le symbole de l'indépendance du pays, effondré, sous les yeux des sinistrés ayant trouvé refuge sur le Champ de Mars. Là, des distributions de sacs de riz encadrés par les GI's ou des camps de tentes «igloo» entourés de blessés et d'amputés.

D'autres ont abandonné le principal style pictural de l'île et ont laissé libre cours aux pensées les plus noires. La première toile qu'a achetée la Galerie Monnin, une institution à Pétionville, est frappante d'angoisse.

Des milliers d'yeux de chevaux, d'oiseaux ou d'humains sur fond vert vous fixent. Et au centre de l'oeuvre carrée, une forêt de mains marrons qui sortent des ténèbres des décombres, implorant le ciel. «Haiti will reborn», Haïti renaîtra, proclame une pancarte tenue par une créature.

«Après le séisme, tous les peintres sont venus nous voir. Ils nous disaient «on a tout perdu, on compte sur vous», c'était un vrai défi», raconte Gaël Monnin, la directrice de l'établissement.

De l'argent a été avancé, de la gouache a été donnée. Et quelques milliers de dollars sont arrivés de l'étranger, envoyés par des amateurs d'art haïtien.

Ce pécule va servir à ouvrir un «village d'artistes», résidence et atelier pour la soixantaine de peintres travaillant avec la galerie, dit Mme Monnin.

En attendant, les marchands d'arts dans la rue désespèrent. «Ca se vend mal, souffle Pierre-Jacques Cedoux. C'est trop triste, des gens sont morts. Qui veut accrocher ça dans sa maison?»