Rien n'a changé. C'est ce qui frappe le visiteur qui revient à Port-au-Prince, six mois après le séisme du 12 janvier. Rien n'a changé. Ou si peu. Trop peu.

Il y a six mois, des gravats obstruaient les rues, on voyait partout des immeubles écroulés sur eux-mêmes ou tanguant au-dessus de la voie publique et des voitures écrasées comme des crêpes.

Aujourd'hui, près de 200 jours après le séisme, ce tableau est encore la norme dans les quartiers de Port-au-Prince. De temps en temps, ici et là, de façon aléatoire, les débris d'un édifice ont été ramassés. Il reste un terrain vague, bien souvent entre deux immeubles en miettes.

Pardonnez le cliché: la reconstruction avance à pas de tortue. En fait, avant même de parler de reconstruction, il faudra évacuer les débris. Ce qui commence à ressembler, à l'échelle de Port-au-Prince, à ramasser les débris d'un bungalow lavallois avec une spatule.

Pour témoigner des efforts de reconstruction, le photographe Martin Chamberland, de La Presse, avait immortalisé des dizaines d'endroits de Port-au-Prince, au mois de janvier. Avec l'idée de revenir plus tard reprendre des photos aux mêmes endroits.

C'est ce que Martin a fait, au début de la semaine, pour marquer les six mois du tremblement de terre. Je l'accompagnais. Dans la Toyota bringuebalante de notre guide, nous nous sommes mis à la recherche des lieux photographiés il y a six mois. Premier arrêt: rue Estimé, quartier Fort national.

Un tableau réjouissant nous attendait. Les débris de plusieurs immeubles avaient été ramassés. En ce dimanche suffocant, un bulldozer attendait le retour de son conducteur. Il y avait clairement, ici, du mouvement.

Jean-Louis Jean-Hubert, dont la minuscule demeure a été jugée digne de ne pas être rasée, n'est pourtant pas impressionné. «Ça ne s'améliore pas», dit-il dans ses chaussures Crocs roses, en regardant la photo de sa rue prise il y a six mois.

Le second arrêt, au Champ-de-Mars, devant le Palais présidentiel, confirme ce que M. Jean-Hubert nous a dit, rue Estimé. Le Palais ressemble encore au vieillard penché qu'il était en janvier. Pas l'ombre d'un bulldozer en vue.

«Il ne s'est rien passé depuis deux mois. Ils ont commencé des travaux, puis il sont partis», nous informe Carlo, un jeune homme qui habite le quartier de tentes flambant neuf du Champ-de-Mars.

Martin Chamberland pointe sa Canon sur le palais. Avant, après: seul le dôme central, amputé, est absent du cliché du mois de juillet. Le symbole du pouvoir exécutif haïtien est laissé à l'abandon, en ruine.

Une ville pétrifiée

Le reste de la journée sera à peu près de la même eau. Partout, le photographe de La Presse a retrouvé les mêmes tableaux qu'il y a six mois. Comme si Port-au-Prince était encore pétrifié.

Enfin, le lendemain, lundi, des signes d'action là où s'élevait l'église Notre-Dame du Perpétuel Secours! Un terrain clôturé, des bruits de machinerie lourde, des hommes casqués qui s'activent. Ce jour-là, on nivelait le terrain, dernière étape avant la construction d'une école.

Pour Hervé Jacques, de Fideli Construction, la reconstruction d'Haïti se passe très bien, merci. Il a supervisé des travaux aux Cayes, à l'Hexagone, à La Plaine. Fideli, dit-il, démolit et construit depuis des semaines. «Et nous aurons terminé cette école dans une semaine. Nous allons travailler jour et nuit.»

La restauration de ce terrain illustre bien le caractère aléatoire de la reconstruction de Port-au-Prince. C'est l'UNICEF, l'agence de l'ONU pour les enfants, qui finance la construction de cette école, une structure légère. Des religieuses l'administreront.

Pourquoi cette école? Pourquoi ici? Pourquoi maintenant? Parce que c'est comme ça que se déroule principalement la reconstruction: de façon organique, sans réelle direction centrale, sans supervision de l'État. Par les deniers et les efforts d'intérêts privés, de l'ONU et d'ONG.

Au stade Sylvio-Cator, les sinistrés qui occupaient l'enceinte dans les semaines qui ont suivi le séisme ont été relogés tout autour. Ce camp menace, comme tous les autres, de devenir un bidonville permanent, étouffant d'exiguïté.

George David, membre du comité de citoyens, nous accueille. Nous lui expliquons notre projet photo. «Rien n'évolue, dit-il. Rien ne change. Il n'y a pas de projets. Le gouvernement ne fait rien pour nous. On parle de la reconstruction d'Haïti, mais je ne la vois pas!»

On ne la voit pas, certes, elle est désespérément lente, cette reconstruction, mais elle est là. C'est le paradoxe de cette reconstruction: elle n'est pas faite que de briques et de béton. Prenez Médecins sans frontières. L'ONG médicale avait quatre points de service en Haïti avant le 12 janvier.  Elle en a désormais plus de 17 grâce aux fonds recueillis et à la sensibilisation internationale. Petit exemple, selon Stefano Zannini, chef de mission de MSF en Haïti, de la «chance extraordinaire» que représente encore pour le pays la catastrophe de janvier.

Il y a cependant des ratés immenses dans la planification, note Zannini. Le quart de toute l'eau distribuée dans les camps est fourni pas MSF. «C'est anormal quand on sait que nous sommes une organisation médicale. Ça veut dire que quelqu'un n'assure pas ce travail.»

Un autre arrêt, pour une autre photo. Encore au Champ-de-Mars. Vue sur le bidonville avec, au fond, la «Tour 2004», une affreuse structure d'inspiration nord-coréenne, incomplète, érigée pour souligner les 200 ans de la révolution haïtienne.

Et encore une fois, le tableau est pareil à celui du mois de janvier. Six mois plus tard, cependant, un fil électrique s'est détaché d'un poteau et pend entre deux tentes. Un enfant joue avec le fil. Heureusement, le courant électrique n'a jamais été fiable, dans ce pays, séisme ou pas.

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