Le programme spécial de parrainage humanitaire du Québec doit permettre d'accueillir 3000 Haïtiens avant la fin de l'année. Six mois après le séisme, combien d'Haïtiens sont arrivés au Québec grâce à ces mesures? Aucun. L'étude des dossiers s'éternise, des parrains abdiquent devant les garanties exigées et les désillusions sont nombreuses dans la communauté.

Alix Fils-Aimé est à quelques jours d'atteindre son but: d'ici la fin du mois, il aura enfin amassé assez d'argent pour faire venir ses trois frères et sa mère qui croupissent, depuis janvier, à Port-au-Prince. Près de 60000$ en garanties financières qu'il présentera aux autorités pour offrir à sa famille le ticket pour sortir de la misère.

«J'ai de la pression, admet le jeune trentenaire. Chaque fois que mes frères m'appellent, ils me demandent si j'ai déposé la demande. Mais il me manquait de l'argent!»

Après l'annonce du programme spécial de parrainage humanitaire en février (voir capsule ci-contre), l'espoir s'est emparé de la communauté haïtienne. Jusqu'à la fin du mois de décembre, Québec élargit les possibilités de regroupement familial en permettant notamment de parrainer les frères et soeurs. Au moment de l'annonce, Québec a estimé que 3000 personnes pourraient profiter des mesures spéciales.

Cinq mois après l'annonce, c'est le désenchantement: aucun Haïtien n'est encore arrivé au Québec grâce à ce programme.

En date du 18 juin, 3400 candidatures étaient en cours de traitement à Québec et seulement 540 personnes avaient reçu le feu vert pour passer à la prochaine étape, l'envoi de leur dossier à Immigration Canada. Le fédéral dit n'avoir reçu que 21 demandes jusqu'ici, qui n'ont pas encore été traitées. Immigration Canada vient tout juste de terminer l'examen de dossiers autorisés par Québec AVANT le séisme...

L'attente des uns, le deuil des autres

Et les chiffres ne tiennent pas compte de tous les citoyens d'origine haïtienne, fort nombreux, selon les conseillers en immigration consultés, qui ont abandonné leurs démarches. Raison première: les garanties financières insuffisantes. Par exemple, pour parrainer une soeur, son mari et leurs deux enfants, une famille canadienne de quatre personnes doit disposer d'un revenu annuel brut de plus de 92000$.

Or, selon le recensement de 2006 de Statistique Canada, le revenu moyen des membres de la communauté haïtienne est de 23400$.

Québec offre la possibilité aux parrains de se trouver un cogarant, qui s'engagera aussi à assurer la sécurité financière des nouveaux arrivants. «Mais bien souvent, le cogarant, c'est le conjoint», dit Gerry Nérée, conseiller au Carrefour d'intercultures de Laval. «Or, le conjoint aussi a de la famille à Haïti qu'il voudrait parrainer!»

D'où plusieurs tensions dans les familles. Quand les revenus ne permettent pas de faire venir tout le monde au Québec, qui choisir? La soeur, le père ou le beau-frère? Ou le neveu orphelin? Encore faut-il obtenir un certificat de décès de ses parents, ensevelis dans une fosse commune...

Sans parler de la pression de la part de la famille qui s'impatiente à Haïti. Plusieurs conseillers affirment avoir vu des gens envoyer des demandes même s'ils savent qu'elles seront rejetées. «Ils veulent aller jusqu'au bout, pour démontrer à leur famille qu'ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient», dit Josée Aubertin, du Centre d'action bénévole de Montréal-Nord. «Il y a un deuil à vivre quand les gens se rendent compte qu'ils n'ont pas les moyens. C'est très difficile à vivre.»

«Très souvent, ajoute Gerry Nérée, j'ai dû écrire une lettre pour expliquer à la famille haïtienne pourquoi le parrain n'est pas admissible.»

Québec augmente la cadence

Au ministère québécois de l'Immigration, l'attachée de presse Geneviève Hinse indique que la cadence a été augmentée pour étudier les demandes. En additionnant les demandes de regroupement familial aux 540 demandes de parrainage humanitaire, Québec a remis en cinq mois 1500 certificats de sélection. «C'est 300 certificats par mois, alors qu'habituellement, on en remet 75», dit-elle.

Immigration Canada, qui dit n'avoir reçu que 21 demandes sur les 540 autorisées par Québec, affirme «ne pas pouvoir traiter un dossier que l'on ne reçoit pas», dit la porte-parole, Mylène Beauregard. Elle suggère que les Haïtiens sélectionnés avaient peut-être eu des choses plus pressantes à régler chez eux avant de donner suite à leur projet d'immigration.

Mais dans la communauté haïtienne, plusieurs estiment que les mesures ne répondent pas aux besoins urgents. «On a offert de l'espoir aux Haïtiens», dit Roger Petit-Frère, du Centre de formation Jean-Paul Lemay, qui aide les parrains à remplir leur demande. «Mais l'espoir, dans ce cas, ce n'est pas suffisant.»

- Avec la collaboration de Louise Leduc