Mercredi, Jenny Duperval était encore en pleine forme. À la sortie de l'école, elle a joué avec des bambins dans une des ruelles étroites de Cité Soleil, le grand bidonville de Port-au-Prince.

Mais le lendemain matin, la fillette de 5 ans s'est effondrée. Diarrhée, vomissements. Jenny a de la chance: elle habite juste derrière l'hôpital Choscal, où Médecins sans frontières a aménagé une unité de traitement du choléra.

 

 

 

Jeudi après-midi, Jenny y était assise, toute nue sur un lit troué: les patients atteints de choléra n'ont pas le temps de courir aux toilettes.

Elle ne disait pas un mot et triturait un morceau de bandage sur son bras. Son père, Jean-Claude, veillait à ses côtés. Il nous a expliqué que la soeur aînée de Jenny avait eu le choléra, quelques jours plus tôt. «Vous savez, elles dorment ensemble, dans le même lit.»

À vrai dire, le mot «lit» décrit mal l'endroit où Jenny, ses parents et ses quatre frères et soeurs vivent entassés, à sept dans une case de béton d'une seule petite pièce.

Devant la maison, un caniveau où s'écoule une eau boueuse pleine de détritus. Dans le vestibule, des ustensiles de cuisine posés à même le sol. Dans la chambre sans fenêtre, l'air est irrespirable. Un rideau coupe la pièce en deux. Derrière le rideau, un bébé gazouille sur une structure de bois recouverte d'un tas de couvertures. Devant, il n'y a qu'un plancher de ciment. C'est là que les Duperval s'étendent pour la nuit.

Depuis que l'épidémie a commencé, Jean-Claude lave le sol à l'eau de javel. Les jours où il en a les moyens. À Cité Soleil, il n'y a ni toilettes ni eau courante. Les gens font leurs besoins dans un pot qu'ils vident dans la mer toute proche. Quelques pas plus loin, des pêcheurs étendent leurs filets. Les poissons qu'ils attrapent traversent l'eau souillée d'excréments.

Or, la bactérie du choléra se transmet par les matières fécales. Et elle prolifère remarquablement bien en milieu salin. Elle a aussi tendance à s'accrocher aux couvertures et matelas.

Tout, dans les conditions de vie de la famille Duperval, contribue aux risques de contagion. Le fait de dormir les uns sur les autres; l'absence d'eau potable; l'impossibilité de préserver des conditions d'hygiène minimales; et l'extrême pauvreté qui ne permet pas d'acheter des produits pour traiter l'eau.

«À Cité Soleil, on vit dans une grande promiscuité, les gens font leurs besoins à même le sol et ils n'ont pas assez d'argent pour acheter de l'eau traitée, la situation est vraiment inconfortable», résume le chef des nouvelles de la station locale Radio Boukman, Jean Joceler.

«C'est impossible de stopper l'épidémie dans ces conditions, les gens vivent les uns sur les autres, quand quelqu'un attrape le choléra, sa soeur, son frère vont l'avoir aussi, c'est sûr», dit Virginie Cauderlier, infirmière responsable des services médicaux à Sarthe, un des grands centres de traitement du choléra de la capitale.

Mme Cauderlier a soigné les victimes de plusieurs épidémies de choléra dans le monde, mais elle dit n'avoir jamais vu une crise comme celle qui sévit à Port-au-Prince. Et elle craint ce qui s'en vient: «La ville est une bombe sur le point d'exploser!»

L'épidémie gagne du terrain

Depuis le tremblement de terre du 12 janvier, plus d'un million d'habitants de Port-au-Prince vivent dans des abris improvisés qu'ils ont rafistolés au fil des mois, avec des planches de contreplaqué et des bouts de tôle.

Les organisations humanitaires visitent régulièrement ces camps. Elles y ont installé des latrines et distribuent de l'eau potable.

Ces camps ne sont pas des palaces, bien sûr. Mais à mesure que l'épidémie de choléra s'étend à Port-au-Prince, ce qui inquiète le plus, ce sont les bidonvilles qui ne reçoivent pas autant d'attention de la part des ONG internationales.

Des 3000 cas de choléra recensés jusqu'à maintenant dans la capitale, la plupart se sont d'ailleurs déclarés à Cité Soleil. Mais le nombre de cas augmente dans d'autres bidonvilles, celui de Martissant, par exemple. Et la maladie commence aussi à se manifester dans les camps où s'entassent les victimes du séisme du 12 janvier.

Prenez Delmas 2, un camp installé sur l'ancienne place de la Paix. Dans une ruelle, la poubelle déborde de déchets. Autour de la poubelle, une eau stagnante et brunâtre. Près de là un gamin nu comme un ver donne des coups de pied dans une boule de papier. Le ballon improvisé roule dans la boue. Et le garçon le suit, nu-pieds.

C'est dans ces mêmes circonstances que Ryan, le fils de Choupette Lafortune, a attrapé le choléra, la semaine dernière. Le gamin de 10 ans s'est mis soudainement à vomir, quelques heures après avoir joué au soccer dans une flaque d'eau sale de Delmas 2.

Jeudi, il était soigné dans une aile isolée, aménagée dans la cour de l'hôpital général de Port-au-Prince pour les victimes du choléra. Avec Samaëlle, sa petite soeur...

Photo: AP

Des 3000 cas de choléra recensés jusqu'à maintenant dans la capitale, la plupart se sont déclarés à Cité Soleil.