Calme, modérée, posée. La présidente intérimaire du Kirghizistan est tout le contraire de son pays. Hier, Rosa Otounbaïeva a fait une visite éclair à Och, épicentre des violences interethniques des derniers jours. Accueillie par une foule en colère, l'ex-diplomate a cherché à calmer les esprits, qui appellent notamment à la ségrégation raciale. Notre collaborateur l'a suivie.

Lorsque Rosa Otounbaïeva arrive, personne n'applaudit. Mais personne ne hue non plus. Les doléances des citoyens sont pourtant nombreuses dans un pays au bord de la guerre civile. Mais en dépit de sa faible autorité, la présidente intérimaire réussit à s'extraire de la mêlée.

 

La femme de 59 ans est habituée aux négociations. Depuis le milieu des années 80, Rosa Otounbaïeva travaille dans la diplomatie. Elle a été à trois reprises ministre des Affaires étrangères du Kirghizistan, dont deux fois en période critique.

À la chute de l'URSS en 1991, elle a pris les commandes des relations extérieures d'un pays indépendant malgré lui. En 2005, après avoir aidé au renversement populaire d'Askar Akaïev par la «révolution des tulipes», elle a fait de même, dans l'espoir de réformer un système étatique corrompu et dysfonctionnel.

Mais ses illusions de changement s'étant rapidement envolées, elle s'est jointe à son ancien allié révolutionnaire, Kourmanbek Bakiev. En avril dernier, le président, devenu autoritaire après cinq ans de pouvoir, a lui aussi été chassé du pouvoir par de violentes émeutes qui ont fait 87 morts.

Étonnamment, c'est la députée Otounbaïeva, la plus modérée des leaders putchistes, qui a été nommée à la présidence intérimaire. Son mandat ne devait durer que six mois, mais en raison des troubles qui enflamment le pays depuis, il a été prolongé en mai jusqu'à décembre 2011.

Dans sa tenue immaculée, qui fait presque oublier son discret gilet pare-balles beige, Rosa Otounbaïeva détonne parmi ses semblables. De ses postes d'ambassadrice aux États-Unis et au Royaume-Uni dans les années 90, elle revient occidentalisée. Dans la manière, le ton, comme le discours, qu'elle peut tenir en kirghiz et en russe, mais aussi en anglais, une langue peu connue de ses compatriotes.

À Och, la présidente est venue hier écouter une population déchirée et enragée. Les habitants kirghiz et ouzbeks de la deuxième ville du pays s'accusent mutuellement d'avoir été à la source des violences qui ont fait 192 morts en moins d'une semaine, selon un bilan très partiel, probablement «plusieurs fois plus élevé» de l'avis d'Otounbaïeva. Elle a même déclaré au quotidien russe Kommersant qu'elle multiplierait «par 10 les chiffres officiels». Ce qui pourrait faire grimper à 2000 le nombre de morts.

Pour faire cesser les hostilités, son gouvernement provisoire a été impuissant, lui ont rappelé avec véhémence des représentants de quartiers d'Och. Après avoir défendu ses actions, Otounbaïeva a prêté l'oreille pendant plus d'une heure, en prenant des notes, aux discours enflammés des femmes et hommes, tous d'ethnie kirghize, comme elle. Compte tenu de l'atmosphère tendue, les rares Ouzbeks présents n'ont pas osé prendre la parole.

Plusieurs orateurs ont appelé à la fin des quartiers mixtes à Och, à la séparation des deux communautés historiques de la ville, et exigé que la présidente prenne des mesures sévères contre la minorité.

«Allez, calmons-nous. Certains d'entre vous sont très émotifs dans leurs déclarations, et nous n'avons pas besoin de ça», a tranché Rosa Otounbaïeva, son tour venu.

Mais dans la rue, la foule kirghize, brandissant les photos de proches pris en otages dans des quartiers ouzbeks, était encore plus nombreuse. Et plus en colère.

Dans ses petits souliers, la chef de l'État intérimaire, cachée sous un parapluie et protégée par les mallettes pare-balles de ses gardes du corps, a tout de même tenu à prendre la parole. «Je vous promets la paix dans deux jours.»

Trop long pour les manifestants. Et toute la faiblesse de la présidence de cette petite femme solide est alors ressortie, lorsqu'elle a dû céder devant le chef de la police d'Och, qui voulait reprendre le contrôle des quartiers ouzbeks avant 24 heures.

Dans le chaos kirghiz, Rosa Otounbaïeva n'a pratiquement que le poids de sa bonne conscience.

 

L'ONU demande une enquête

Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a demandé hier à Genève au gouvernement du Kirghizistan de mener une enquête «exhaustive et transparente» sur les violences qui ont éclaté la semaine dernière dans ce pays. La résolution qui concernait initialement les violences commises en avril lors du renversement du régime du président Kourmanbek Bakiev, a fait l'objet d'intenses négociations jusqu'à la dernière minute pour permettre d'intégrer celles des derniers jours. «Nous demandons au gouvernement de la République kirghize de mener une enquête exhaustive et transparente et qu'il fasse répondre de leurs actes les responsables des pertes en vies humaines, en relation avec les événements du 7 avril 2010 et durant les récentes violences interethniques», souligne la résolution proposée par les États-Unis et le Kirghizistan et adoptée par consensus.