Depuis 30 ans, Abou Nayef creuse des tunnels à la recherche de vestiges à Baalbeck dans l'est du Liban. Ses trouvailles ne finissent pas au musée mais entre les mains de receleurs, dans un pays où la sauvegarde du patrimoine n'est pas une priorité nationale.

Dans cette ville qui abrite l'un des plus beaux temples romains au monde, il a découvert au fil de sa «carrière» d'anciennes pièces en or et des sarcophages contenant des bagues, des bracelets, des boucles d'oreilles, parfois même des lampes en terre cuite.

«Je sais que ce sont des objets historiques mais j'en ignore souvent la valeur», reconnaît ce sexagénaire mince aux cheveux gris, assis dans le jardin de sa maison à Baalbeck.

«Je traite avec un dealer au nord de Beyrouth, explique-t-il, évoquant l'implication de milieux politiques et artistiques dans ces «affaires».

Porteur d'un passé riche en civilisations, des Phéniciens aux Croisés, en passant par les Romains et les Byzantins, le Liban a vu ses trésors pillés à grande échelle depuis la guerre civile (1975-1990), en l'absence de lois draconiennes de lutte contre la contrebande.

Beaucoup de citoyens ordinaires et surtout de politiciens sont ainsi en possession de statuettes, jarres et même de mosaïques.

«Tout le Liban est une mine d'antiquités mais on a perdu tellement de trésors et on en perdra davantage en raison des vols et du manque de fouilles», affirme un professeur d'histoire et d'archéologie sous couvert de l'anonymat.

Abou Nayef n'est pas le seul à s'adonner à la prospection illégale: en février, la police judiciaire a confisqué un sarcophage d'enfant datant de l'époque romaine dans la maison d'un cheikh à Baalbeck, qui tentait de le vendre.

Si le Liban n'est plus exactement une «plaque tournante» régionale comme dans le passé, les vestiges de ce pays méditerranéen continuent d'aiguiser l'appétit du marché local, régional et international.

«Chaque année, la police opère au moins 20 saisies, sans compter celles à l'aéroport et aux frontières terrestres», explique Rana Andari, responsable des collections archéologiques à la Direction générale des Antiquités (DGA), rattachée au ministère de la Culture.

Selon elle, «le problème est que celui qui se fait prendre ne paie qu'une simple amende, les lois étant beaucoup plus laxistes comparées à celles en vigueur en Jordanie ou en Égypte», qui a récemment durci les sanctions en cas de trafic, avec une peine maximum allant jusqu'à 15 ans de prison.

Le problème de la contrefaçon n'est pas moindre. Dans l'antique ville phénicienne de Tyr au sud du pays, certains immergent des jarres dans l'eau de mer pendant deux semaines pour faire croire aux clients qu'il s'agit de pièces authentiques.

Autres handicaps, la négligence et le manque d'entretien: beaucoup de sites répertoriés comme les maisons néolithiques à Byblos, localité située au nord du Liban, la plus ancienne ville continuellement habitée du monde, des dizaines de temples dans la Békaa, située à l'est, des citadelles et des églises anciennes dans le nord ne sont pas mis en valeur.

Au site du dieu guérisseur Echmoun, important sanctuaire phénicien du sud, les herbes folles couvrent le temple et les mosaïques. Cinquante des 600 sculptures de ce site volées en 1981 circulent encore sur le marché mondial.

Le Musée national à Beyrouth, l'un des rares musées archéologiques du pays, expose environ 2000 pièces. Il en comprend des centaines de milliers en stock, mais le manque de fonds et de personnel ne permet pas de les exhiber.

Pour tout le Liban, la DGA ne dispose que de 15 archéologues.

Et «avec les constructions galopantes, on ne pourra bientôt plus faire d'excavations», souligne le professeur universitaire.