«La question «t'es où?» est devenue universelle. (...) Ce n'est plus Big Brother qui nous surveille, mais notre «petite soeur», comme l'a fait remarquer l'anthropologue du mobile Jan Chipchase», écrit Laurence Allard, dans Mythologie du portable, qui vient de paraître.

Au New York Times, le même Jan Chipchase, cité par Mme Allard, a raconté s'être déjà trouvé dans un monastère en Mongolie, il y a quelques années. Non seulement les moines avaient-ils tous leur cellulaire, mais ils avaient des modèles plus récents que celui de M. Chipchase, lui-même employé de Nokia.

 

«Un moine a pris mon téléphone et, pendant que nous parlions, il s'est mis sur Bluetooth et a transféré tout le contenu de mon téléphone sur le sien: mes photos, tout ça... Je me disais: je suis si loin de tout et, en même temps, me voici avec des gens tellement avancés technologiquement!»

Aujourd'hui, 1,9 milliard de Terriens ont accès à un ordinateur personnel; 4,6 milliards ont un cellulaire. Même dans un pays pauvre comme Haïti, le cellulaire est partout.

En Afrique ou dans les pays pauvres d'Asie, là où le salut se trouvait souvent dans l'achat d'une vache, le réflexe est de plus en plus de chercher à s'acheter un cellulaire. Le microcrédit sert désormais à acheter un de ces appareils qui permettra aux femmes de faire le commerce de toutes sortes de choses... À commencer par le commerce d'appels téléphoniques. Au Bangladesh, l'un des 20 pays les plus pauvres du monde, pas moins de 250 000 femmes ont reçu du microcrédit qui leur a permis d'acheter un cellulaire et de devenir la téléphoniste du village: elles font payer leurs concitoyens qui ont besoin de faire ou de recevoir des appels.

Ailleurs, comme l'écrit Laurence Allard, le cellulaire a permis la mise au jour du «journaliste citoyen» et du «militantmobile». Et comment! En 2007, en Birmanie aussi l'un des 20 pays les plus pauvres du monde le cellulaire est devenu une puissante arme contre le régime. Des manifestations de 1988 contre le régime militaire, le monde n'avait à peu près rien su, rien vu.

En 2007, grâce au cellulaire, ce fut une tout autre histoire. «Autant les moines que les étudiants utilisaient leur téléphone portable pour envoyer des photos», a déclaré à l'Agence France-Presse en 2007 une journaliste californienne qui a reçu des dizaines de photos et de vidéos de manifestations grâce au cellulaire.

Idem en Iran, où Neda une jeune manifestante dont l'agonie a été filmée à l'aide d'un cellulaire est devenue le visage de la Révolution verte du printemps dernier.

Dans d'autres pays, le cellulaire est surtout utilisé à des fins médicales. En Afrique du Sud, les autorités sanitaires envoient des messages textes pour rappeler à distance aux patients de bien prendre leurs médicaments. Au Kenya, le SMS est utilisé pour interroger des gens sur des maladies taboues (le sida, le cancer du sein, les maladies transmises sexuellement) et pour, ensuite, mettre en place des plans d'action adéquats.

Parlant de textos, en 2009, il s'en est envoyé 14 milliards en France, soit une moyenne mensuelle de 86 par utilisateur, écrit Laurence Allard. Les textos ne se sont cependant pas implantés à la même vitesse. «En Asie, les transports favorisent les longs trajets et la culture a tendance à imposer le fait qu'il serait impoli de parler ou de faire du bruit dans les transports en commun, d'où la mise au point d'objets mobiles tactiles, avec des boutons et du texte.»

Aux États-Unis, à l'inverse, «les trajets se font plutôt en véhicule individuel, d'où l'usage de la voix plutôt que des boutons ou des interfaces textuelles».

 

Le téléphone terrestre, au musée?

Des résistances? Quelques-unes. À la mi-mars, Leah McLaren a écrit dans le Globe and Mail que, contrairement à tant d'autres personnes, il est hors de question qu'elle se désabonne de sa ligne filaire pour ne conserver qu'un cellulaire: rien de tel, écrit-elle, qu'un dimanche après-midi à la maison, avec un thé pas loin, à y aller d'une longue conversation sur un vieux téléphone vous savez, ce truc qui ne coupe pas, qui ne grésille pas et qui est confortable à l'oreille.

«Il y a quelque chose de très enraciné dans tous les sens du terme dans le fait d'avoir un téléphone terrestre. Ça dit, tout simplement: j'habite ici.»

En fait, dit encore Mme McLaren, «pour moi, mon téléphone terrestre, c'est comme mon cordon ombilical, d'autant qu'il n'y a plus que mes parents qui m'appellent là-dessus».