L'Union européenne fait face à une situation sans précédent: la Grèce, écrasée par sa dette publique, entraîne la dévaluation de l'euro et risque de faire basculer d'autres pays dans la crise. Le gouvernement grec appelle à l'aide et les Européens rechignent à devoir payer pour les bêtises du cancre méditerranéen des finances publiques. Mais ils devront vraisemblablement se résigner à le faire. Portrait de la situation en six questions.

1 Comment la crise a-t-elle débuté?

En octobre dernier, au lendemain des élections législatives, le premier ministre grec Georges Papandréou a annoncé le nouveau déficit des finances publiques: 12,7% du produit intérieur brut (PIB), soit deux fois plus que ce qui avait été annoncé. Pire: selon les nouveaux chiffres, le déficit atteint maintenant 13,6%. Ce n'est pas la première fois que les Grecs jouent un mauvais tour à leurs partenaires. Lors de la qualification du pays pour intégrer la zone euro en 2000, l'entente stipulait que le déficit ne devait pas dépasser 3% du PIB. La Grèce avait annoncé un déficit de 1%, alors qu'il était, en réalité, de 3%. «C'était marginal, mais quand même, ça pouvait laisser craindre que les autorités grecques soient assez laxistes sur la certification des comptes publics», explique le professeur Martial Foucault, économiste au département de sciences politiques de l'Université de Montréal.

 

2 Est-il encore possible pour la Grèce d'emprunter sur les marchés internationaux?

C'est de plus en plus difficile. Mardi, l'agence de notation Standard&Poor's a privé la Grèce de sa cote d'investissement obligataire recommandable, ce qui signifie qu'elle devra payer de plus hauts taux d'intérêt pour emprunter. Le ministre grec des finances a déclaré que la Grèce «ne peut pas emprunter» sur les marchés à ces taux.

3 Pourquoi l'Allemagne, en particulier, a-t-elle pris les devants face à la Grèce?

Depuis le début de la crise, les autorités européennes - tant les États que la Banque centrale européenne - ont agi de façon plutôt désordonnée. Tous les yeux se sont tournés vers l'Allemagne. «L'Allemagne se comporte comme le maître d'école: depuis la création de l'euro, elle se présente comme le modèle de rigueur budgétaire, à la base de la force de l'euro, dit M. Foucault. Tout le monde a pris l'Allemagne comme modèle. Aujourd'hui, quand un pays joue le mauvais élève, le maître d'école a tendance à le punir sévèrement. L'Allemagne est également le pays qui peut influencer la décision de la Banque centrale européenne.» Mais les Allemands sont opposés à l'idée d'ouvrir leur portefeuille pour sauver les Grecs, surtout qu'étant les plus riches d'Europe, leur contribution sera la plus élevée. La chancelière Angela Merkel a relayé cette position jusqu'ici... notamment en vue d'élections régionales cruciales pour son parti, le 9 mai.

4 La débandade grecque risque-t-elle d'entraîner d'autres pays de la zone euro?

L'Espagne et le Portugal ont aussi des taux d'endettement très élevés. «Dans le cas de l'Espagne et du Portugal, ainsi que de l'Italie, voire de l'Irlande, ce sont clairement les plans de sauvetage pris par ces États face à la crise économique de 2008 qui a conduit à un dérapage des finances publiques», dit Martial Foucault. La zone euro devra-t-elle sauver non seulement la Grèce, mais tous les autres endettés? «On parle d'un plan de sauvetage de 120 milliards d'euros pour la Grèce sur trois ans. On ne pourra pas sortir ces sommes pour quatre ou cinq pays.»

5 La Grèce pourrait-elle être exclue de la zone euro?

Les traités européens n'ont pas prévu l'exclusion d'un membre. En quittant l'euro, les Grecs retrouveraient leur ancienne monnaie, la drachme, qui ne vaudrait plus grand-chose dans le reste de l'Europe. Ce pourrait être bon pour les exportations grecques, mais désastreux pour les banques, où les épargnants s'empresseraient de retirer leurs économies.

6 Le 19 mai, la Grèce doit rembourser un emprunt de 9 milliards d'euros. Si elle n'est pas en mesure de le faire, qu'arrivera-t-il? La Grèce peut-elle faire faillite?

La Grèce doit de l'argent à des banques grecques, françaises, allemandes et britanniques, «qui vont payer très cher une incapacité de la Grèce à payer ses créances», dit M. Foucault. Le pays pourrait-il faire faillite? Techniquement oui. «Mais la Grèce ne fera certainement pas faillite parce qu'elle demandera une restructuration de sa dette, à un coût énorme pour la population. Au lieu de rembourser 9 milliards dans quelques jours, elle pourrait le rembourser sur quelques années, mais avec un taux de réemprunt très élevé.» Hier, l'Union européenne et le Fonds monétaire international ont discuté d'un versement 45 milliards d'euros à la Grèce cette année. «Peut-être que tout ça aurait pu être évité si la Banque centrale européenne, qui avait injecté des dizaines de milliards d'euros en 2008 pour éviter que le système bancaire ne s'effondre, avait proposé cet hiver à la Grèce de l'aider avec un taux de 1%. Mais la banque a été convaincue par l'Allemagne qu'il s'agissait d'une mauvaise idée à cause du signal désastreux envoyé aux autres pays qui pourraient se retrouver dans la même situation.»

 

Descendants des Héllènes

Jacques Bouchard, professeur d'études néo-hélléniques à l'Université de Montréal, se rend en Grèce plusieurs fois par année depuis 45 ans. Il a vu le pays évoluer, depuis la pauvreté qui y sévissait dans les années 60 jusqu'à la prospérité de l'ère euro. «Mais les Grecs vivent au-dessus de leurs moyens, dit-il. À mon avis, ils n'auraient pas dû intégrer la zone euro parce qu'ils n'avaient pas les reins assez forts.» Dans les rues d'Athènes, dit-il, le marché noir est omniprésent et les prix sont gonflés. «Les Grecs se sont enrichis avec l'économie parallèle. Ce n'est pas rare que les gens ont deux ou trois jobines. Mais l'État grec est pauvre», dit-il. Jusqu'à récemment, il n'y avait même pas de taxes foncières pour les propriétaires. La meilleure preuve que les Grecs modernes descendent des Héllènes de l'Antiquité, dit M. Bouchard, «c'est qu'ils en ont gardé les défauts». «Ils n'arrivent pas à s'entendre, dit-il. Ils sont très politisés; pour un rien, ils descendent dans la rue. Ils se méfient de l'État.»