Après une semaine de tergiversations, la Chine a finalement rompu le silence sur les accusations lancées contre la Corée du Nord. De passage à Séoul, le premier ministre chinois Wen Jiabao a dit hier que son pays ne protégera pas les responsables du naufrage d'une corvette sud-coréenne, le 26 mars dernier, qui a causé la mort des 46 membres de son équipage.

Selon une enquête internationale dévoilée la semaine dernière, l'explosion a été causée par une torpille lancée par un sous-marin nord-coréen. Pour mieux comprendre cette crise d'envergure et le rôle que joue la Chine, La Presse s'est entretenue avec Marcus Noland, spécialiste de la Corée du Nord à l'Institut économique international Peterson à Washington.

 

Q: Pourquoi la Corée du Nord a-t-elle torpillé la vedette sud-coréenne?

R: Il est extrêmement difficile de déterminer la raison principale. Kim Jong-il a pu vouloir appuyer son successeur, son fils Kim Jong-un. Il s'agit peut-être d'une tentative de dévier l'attention du public nord-coréen, qui montre des signes d'agitation sans précédent depuis qu'une réforme bancaire en janvier a saboté les balbutiements d'une économie de marché. On a vu une vidéo de vieilles femmes qui protestaient contre les soldats tentant de fermer un marché informel. C'est du jamais vu. On peut aussi y voir une vengeance contre la destruction d'un navire de guerre nord-coréen lors d'une escarmouche navale en novembre dernier. Ou alors, la Corée du Nord voulait influencer la population sud-coréenne pour favoriser la gauche. Si c'est le cas, ça n'a pas fonctionné, parce que la population s'est ralliée derrière le premier ministre de droite.

Q: Y a-t-il un risque de guerre?

R: Il y aura certainement d'autres escarmouches le long de cette frontière navale que conteste la Corée du Nord. Il y en a eu en 1999, en 2002, en 2009 et en mars. Cette semaine, plusieurs lignes de communication d'urgence ont été fermées, entre autres la ligne d'urgence militaire pour la mer Jaune. Ça augmente le risque d'escalade en cas de faux pas durant une escarmouche. La Corée du Nord pourrait aussi recourir à des actes de terrorisme perpétrés par des agents actuellement infiltrés dans le Sud, ou par des Coréens du Sud favorables au régime de Pyongyang. Depuis l'ouverture de la Corée du Sud à de meilleures relations avec le Nord, en 1997, plusieurs ONG pro-Pyonyang ont été mises sur pied. Mais comme la Corée du Nord a pris soin de viser le premier ministre sud-coréen dans ses attaques, on peut penser qu'elle attend simplement que son mandat se termine en 2013 et ne commettra pas d'acte irrémédiable.

Q: La Corée du Sud a demandé au Conseil de sécurité de l'ONU de sévir contre le Nord. Quelles nouvelles sanctions pourraient être annoncées?

R: Il pourrait y avoir une meilleure application des sanctions, notamment avec une surveillance des navires nord-coréens. Les États-Unis pourraient unilatéralement décider de remettre la Corée du Nord sur la liste des États terroristes.

Q: Que fera la Chine et pourquoi?

R: On dit souvent que la Chine ne veut pas une déstabilisation de la Corée du Nord par crainte des réfugiés. Je pense que ce n'est pas la principale raison: la Chine compte assez de soldats et de population pour faire face à des centaines de milliers de réfugiés, ou même des millions. Je crois que la Chine aime tout simplement que la question nord-coréenne occupe ses voisins capitalistes et les États-Unis. La vieille garde communiste aime bien aussi avoir un pays frère socialiste à ses frontières. Certains dirigeants plus jeunes sont mal à l'aise avec ce point de vue et aimeraient approfondir les relations avec la Corée du Sud, mais ils sont en nette minorité.

Q: Comment va la santé de Kim Jong-il?

R: Son temps est compté. Lors d'une récente visite en Chine, la dernière soirée devait être consacrée à un opéra patriotique en l'honneur de la relation entre les deux pays. La représentation a été annulée. Il fallait vraiment qu'il soit très malade pour ne pas assister à ce genre de soirée.