Si l'environnement est la nouvelle religion, Luscious Garage est son nouveau temple. Énergie solaire, matières recyclées, factures numériques: le garage de San Francisco spécialisé dans les voitures hybrides prend son rôle de pionnier au sérieux.

Pour recycler le filtre à air d'une voiture, il faut d'abord découper la membrane en papier à l'aide d'un petit couteau. Ce n'est pas très long, mais ce n'est pas commode, un peu comme laver le pot de beurre d'arachide avant de le balancer au recyclage.

 

«Habituellement, les mécaniciens ne perdent pas leur temps avec ça, explique Carolyn Coquillette en regardant le vieux filtre d'une Toyota Prius. Ils jettent le filtre à la poubelle et passent à autre chose.»

Pas grand-chose ne touche le fond de la poubelle au Luscious Garage. Le plastique est recyclé, tout comme le caoutchouc, le papier et le métal. Des panneaux solaires sur le toit fournissent l'électricité et servent à recharger les voitures. Deux douzaines de plantes vertes aident à purifier l'air.

Les clients qui passent la porte trouvent un piano dans l'entrée et des livres d'Albert Einstein et de Virginia Woolf dans la bibliothèque. Le tapis en caoutchouc dans la salle d'attente est fait de pneus recyclés. Le garage est si propre qu'on pourrait manger par terre.

Au centre-ville de San Francisco, il est l'un des rares à se spécialiser dans l'entretien des voitures hybrides.

Or, la véritable vocation de l'endroit est plus pointue encore: convertir les voitures hybrides en hybrides rechargeables. Cette technologie est appelée à prendre de l'expansion: le président désigné Barack Obama veut voir 1 million de voitures hybrides rechargeables sur les routes d'ici à 2015.

«Nous croyons que nous sommes au début de la vague, explique Mme Coquillette. Nous espérons voir de plus en plus de garages comme le nôtre dans les prochaines années.»

Factures par courriel

Le mouvement écologiste a transformé bien des industries au fil des ans. Mais les garages semblaient immunisés. À part le recyclage des pneus et des huiles usées, ils demeurent surtout des endroits où le gros bon sens passe avant les considérations environnementales.

Carolyn Coquillette est une femme énergique aux cheveux noirs et aux yeux bleus perçants. Titulaire d'un bac en physique, elle a appris la mécanique automobile il y a plusieurs années, après avoir réalisé avec irritation qu'elle était incapable de réparer le moteur de sa propre voiture.

Depuis, elle s'est intéressée aux voitures hybrides, extrêmement populaires en Californie. Plus de 70 000 Toyota Prius ont été vendues dans la région de San Francisco, la plus grande concentration de véhicules hybrides aux États-Unis.

«Les voitures hybrides sont très différentes des voitures traditionnelles, dit-elle. J'ai voulu créer un garage aussi différent. J'ai voulu briser le moule.»

Mme Coquillette a aménagé son entreprise avec un soin maniaque. Les planchers de béton sont recouverts d'un vernis sans époxy. L'entreprise n'utilise pas de papier - les clients approuvent l'estimation en se faisant prendre en photo avec un petit tableau sur lequel est inscrit le prix. La photo est jointe à la facture, que les clients reçoivent par courriel.

Son garage - de loin le plus écolo d'Amérique, peut-être du mond - fabrique même son propre liquide lave-glace à base d'eau et de vinaigre. «Le hic, c'est que ça sent le vinaigre quand on nettoie le pare-brise, dit-elle. Mais le produit est complètement naturel.»

Pour rendre rechargeables les voitures hybrides, Mme Coquillette et son équipe installent une batterie dans le coffre. Rechargeable en une nuit au moyen d'un fil électrique, cette batterie supplémentaire donne une autonomie de 15 à 25km avant que le moteur à essence ne prenne la relève.

La modification coûte au bas mot 7000$, une somme considérable que seuls les purs et durs sont prêts à débourser pour avoir le privilège de rouler sans polluer.

Peter Hand est de ceux-là. Conseiller financier de Berkeley, en Californie, M. Hand a fait convertir sa Toyota Prius l'été dernier par Luscious Garage.

«Financièrement, ce n'est pas très avantageux, dit-il. J'ai décidé de le faire pour l'environnement, mais aussi pour aider le garage. Ces entreprises sont bien intentionnées, mais ce ne sont pas des oeuvres charité. Ça prend des clients pour réussir.»

Véhicules étranges

Le monde des écologistes de la région de San Francisco est un endroit parfois étrange. Mécanicienne à Luscious Garage, Michou Olivera dit voir de drôles de véhicules passer par la porte de l'entreprise.

«Parfois, les gens viennent avec leur voiture ou leur camion qu'ils ont eux-mêmes convertis à l'électricité, dit-elle. Disons qu'on voit des choses pas mal bizarres.»

Mme Olivera note que les femmes sont souvent enchantées de faire affaire avec un garage géré par des femmes. «Beaucoup nous disent que ça leur fait plaisir. Les garages sont souvent des endroits machos, et les femmes ne sont pas toujours bien reçues. Ici, on traite tout le monde de la même manière.»

Passionnée d'automobiles, Mme Olivera passe ses fins de semaine à travailler sur ses quatre voitures de collection.

«Aucune n'est hybride, dit-elle. C'est mal, je sais. Je me dis que je me rattrape en passant la semaine à réparer les hybrides des autres...»