Dans son livre L'audace de l'espoir, Barack Obama explique qu'un de ses restaurants préférés à Chicago est un établissement du West Side appelé Mac Arthur's.

Mac Arthur's n'est pas un petit café coquet de son beau quartier résidentiel et encore moins un restaurant chic du centre-ville fréquenté par le genre de personnes qui deviennent un jour sénateur ou président.

 

MacArthur's est un restaurant exploité par des Noirs, pour des Noirs et préparant de la cuisine bon marché typique de la communauté noire, la soul food. Et il est installé dans un des ghettos les plus durs de Chicago: South Austin.

Lorsqu'on tape le «zip code» de MacArthur's sur le site internet où l'on retrouve les statistiques policières sur Chicago, on apprend que cette zone postale est en quatrième place côté criminalité, dans toute la ville, et que le quartier de South Austin lui-même, avec ses quelque 25 meurtres l'an dernier, est au premier rang, tous crimes confondus. Pas étonnant qu'on y aperçoive partout, en haut des poteaux de téléphone, aux abords des carrefours et le long des rues, les clignotants bleus indiquant la présence d'innombrables caméras de surveillance policière.

De tous les repas que j'ai mangés dans des restaurants fréquentés jadis par M. Obama -j'en ai essayé quatre- ce fut le meilleur. Du poisson-chat frit, des verdures amères revenues dans le bacon -en anglais on appelle ce plat collard greens et on dirait des feuilles de moutarde ou de bettes à carde. Il y avait aussi des patates sucrées cuites dans les épices et le sucre et une sorte de gâteau à la farine de maïs que les Américains appellent «biscuit».

Le poisson frit était parfait. Très frais. Croustillant à l'extérieur. Tendre à l'intérieur. Et juste assez relevé par une sauce très piquante dont on asperge à peu près tout, trace épicée des origines africaines de cette gastronomie née dans l'esclavage.

J'aurais pu aussi choisir le poulet frit ou le smothered chicken, du poulet que l'on cuit à l'étouffé dans une tonne de sauce très riche et très épaisse. Le monsieur avant nous a choisi, lui, une cuisse de dinde entière, baignant dans le «gravy». Imaginez la grosseur de la pièce de viande.

Le repas au complet a coûté 6,95$.

La cuisine soul s'appelle ainsi parce que, dans les années 60, on s'est mis à appeler «soul» à peu près tout ce qui était issu de la culture noire. C'est une cuisine du Sud, car traditionnellement les Noirs vivaient dans le Sud, sur les plantations, avant qu'ils soient affranchis et partent travailler dans les zones industrielles du Nord, au début du XXe siècle, emportant avec eux leur goût pour cette cuisine doudou.

Mais si la cuisine soul vient du Sud, toutes les cuisines du Sud ne sont pas des cuisines soul. La vraie cuisine soul est imprégnée de l'imagination du désespoir qui naît quand on est pauvre.

Elle est remplie de pièces de viande traditionnellement rejetées -abats, pieds, museaux- de verdures qui poussent facilement, de poulets qu'on nourrit de déchets domestiques et qui s'élèvent seuls dans la cour, de gras qui fournit beaucoup d'énergie pour trois fois rien et remplit de goût tout ce qu'il touche.

Dans un essai paru dans la revue American Studies International, l'historienne Tracy Poe, spécialiste de la soul food à Chicago, explique que la présence et la préservation de cette cuisine dans les villes du Nord a toujours été une priorité culturelle et identitaire. Quitte à choquer les autres en mangeant des abats ou, aujourd'hui, en faisant sourciller les apôtres du «faible en gras».

Obama, lui, tient de toute évidence à rendre publique son affection pour ce type de cuisine. En plus d'en avoir parlé dans L'audace de l'espoir, il s'en est aussi fait l'apôtre à la télé, en 2001, alors invité par la station locale de PBS à faire la critique d'un restaurant.

L'établissement qu'il avait choisi, Dixie Kitchen and Bait Shop, est depuis devenu une sorte de lieu de pèlerinage. Un lieu où l'on rend hommage, en plongeant la fourchette dans un plat de gumbo ou de haricots noirs, à celui qui deviendra officiellement aujourd'hui le premier président soul.