Il y a un an, des sans-abri ont monté un campement dans un terrain vague de Sacramento, capitale de la Californie. Depuis, leur histoire a fait le tour du monde. Oprah Winfrey y a filmé un topo dévastateur. Arnold Schwarzenegger est allé serrer des mains. Cette semaine, la Ville a décidé de mettre fin à l'aventure de «Tent City», devenue la honte de l'Amérique.

Les premières tentes ont apparu il y a un an. Des dizaines d'autres ont suivi. Le terrain vague s'est transformé en petit village, que les habitants ont baptisé Tent City. Puis les médias sont arrivés.

CNN. Associated Press. Reuters. San Jose Mercury News. The Guardian. The Oakland Tribune. MSNBC. Los Angeles Times. CBS. Oprah. Al-Jazira.

Nom du topo: «Tent City». Nombre d'habitants: entre 150 et 200. Qui sont-ils? Sans-abri chroniques, toxicomanes, travailleurs mis à pied. Problèmes de l'endroit: déchets, insalubrité, vermine, manque de nourriture. Plan panoramique des tentes. Musique dramatique. Pause commerciale.

Certains médias ont fait un parallèle intéressant: durant la Grande Dépression des années 30, des familles de chômeurs avaient formé un campement au même endroit, près du fleuve American, à quelques kilomètres du Capitole. Ils ont été immortalisés par la photographe Dorothea Lange, et ces images font maintenant partie du folklore américain.

Rapidité jamais vue

Pour les travailleurs sociaux de Sacramento, c'est la rapidité de la croissance du campement qui a surpris. «Il y a un an, il n'y avait pratiquement personne dans ce terrain vague, explique Joan Burke, de l'organisme Loaves and Fishes. Les gens sont arrivés au fil des mois. Aujourd'hui, jusqu'à 200 personnes y habitent.»

D'autres campements spontanés ont apparu au cours des derniers mois aux États-Unis. À Seattle, dans l'État de Washington, une centaine de travailleurs au chômage ont monté leurs tentes dans le terrain de stationnement d'une église. À Fresno, en Californie, des douzaines de personnes vivent sous un échangeur d'autoroute.

Ces gens avaient un toit au-dessus de leur tête jusqu'à récemment, explique Joel John Roberts, directeur d'un organisme de services pour sans-abri à Los Angeles.

«Les centres pour sans-abri ne sont souvent pas pensés en fonction des gens qui viennent tout juste de perdre leur emploi ou leur maison. Il y a des services pour les gens qui ont des problèmes mentaux ou des dépendances aux drogues. On voit de plus en plus de sans-abri qui n'ont pas ces problèmes. Ils sont simplement victimes de la crise et ont besoin d'aide.»

Embarras pour le maire

À Sacramento, Tent City a pris de l'expansion pendant plus de 12 mois sans que personne y porte attention. Depuis la vague médiatique, des citoyens se sont mis à aider les sans-abri.

Récemment, une entreprise de construction locale a offert un conteneur pour que les habitants puissent y jeter leurs déchets. Une autre entreprise a livré des toilettes chimiques.

«C'est vraiment une bonne chose pour nous, a déclaré Luis Morales, surnommé le "maire" de Tent City. Maintenant, nous pouvons mobiliser tout le monde, nous mettre ensemble et nettoyer le campement. C'est très important pour nous.»

Pour le nouveau maire de Sacramento, Kevin Johnson, la médiatisation était moins agréable. Ex-vedette de la NBA, M. Johnson fait face à des tonnes de demandes d'entrevue au sujet de Tent City. Le gouverneur Arnold Schwarzenegger, dont le bureau est situé à quelques kilomètres du campement, n'a lui non plus pas apprécié que la capitale de la Californie soit désormais dépeinte comme une ville du tiers-monde.

Le problème a refait surface à Washington, où le président Barack Obama s'est fait poser une question sur l'émergence des campements de fortune cette semaine.

«Il n'est pas acceptable que nos enfants et nos familles n'aient pas de toit au-dessus de leur tête dans un pays aussi riche que le nôtre», a dit le président des États-Unis.

La médiatisation instantanée du campement a aussi suscité des critiques. Dans le L.A. Times, la journaliste Lauren Beale a dit ne pas apprécier de voir Tent City faire les manchettes.

«Le camp est-il devenu célèbre parce que les gens s'intéressent à la pauvreté, ou bien parce qu'il est malencontreusement situé dans la capitale de la Californie?» demande-t-elle.

Fermé d'ici un mois

Cette semaine, la Ville de Sacramento a annoncé son intention de fermer Tent City. D'ici un mois, les résidants devront avoir plié bagage.

Le porte-parole de la Ville, Steven Maviglio, soutient que la décision a été prise pour des raisons de sécurité. «Nous trouverons d'autres endroits pour eux. Le camp n'est pas sécuritaire. Ce n'est pas humain. Cela dit, nous n'arriverons pas là avec un bulldozer.»

Les sans-abri seront logés dans des habitations communautaires. Une grande tente sera érigée sur les terrains d'un organisme de charité local. Cette aide coûtera près d'un million de dollars à la Ville.

Plusieurs habitants de Tent City sont heureux de cette décision. D'autres auraient aimé qu'on les laisse tranquilles.

«Nous sommes devenus des phénomènes de foire, a dit Michael Borchardt, ancien camionneur, au New York Times cette semaine. Les gens viennent ici et prennent des photos. Nous n'avions pas d'attention avant», a-t-il dit, ajoutant qu'il n'aura pas le choix de partir quand les autorités le demanderont.

Après le départ des pauvres, le terrain vague de Tent City sera entouré d'une clôture. Jusqu'à la prochaine crise.