Barack Obama n'a pas l'habitude d'exposer sa colère en public. Or, cette semaine, le président des États-Unis a accusé les compagnies de cartes de crédit d'arnaquer (rip off) les consommateurs. Une situation qui touche de près à la vie des gens, a constaté notre correspondant.

Demandez à des Américains assis autour d'une table pour souper de vous raconter leurs mésaventures avec les cartes de crédit, et vous ferez mieux d'aller chercher une autre bouteille de vin à la cuisine: la soirée sera longue.

 

«J'ai 5000$ de dettes sur ma carte, lance Lucy, 26 ans, responsable de la mise en marché dans une boutique J. Crew à Santa Monica.

«J'ai acheté des choses inutiles, je le reconnais. Mais je fais mes paiements. La compagnie n'arrête pas d'augmenter les frais et le taux d'intérêt. Mon taux est à 30%. Ça devrait être illégal.»

Un rire sarcastique fuse à l'autre bout de la table. «Il y a quelques années, j'avais 30 000$ de dettes sur ma carte, explique Sue, musicienne indépendante qui gagne sa vie en faisant de la pub. Mon taux d'intérêt a bondi à 25%. J'ai dû laver des voitures, repeindre des maisons et promener des chiens pendant cinq ans pour arriver à m'en sortir. Ils ont fait de l'argent avec moi.»

Peu de sujets non liés à la politique et au sport professionnel ont la capacité de faire sortir les Américains de leurs gonds. Les cartes de crédit sont de ceux-là.

Samedi dernier, le président Obama a accusé les compagnies de cartes de crédit d'arnaquer (rip off) les consommateurs en imposant des pénalités arbitraires ou des frais cachés et en haussant rétroactivement leurs taux d'intérêt.

«Assez, c'est assez, a dit le président. Les compagnies nous attirent avec des promesses de taux très bas et se réservent le droit de faire bondir ces taux en tout temps, sans raison - même sur les achats qui datent de plusieurs mois.»

»Cerveau sous anesthésie»

La facilité de faire des dépenses avec une carte de crédit est abondamment documentée. Payer des souliers à 75$ avec une carte de plastique est bien plus attrayant que de sortir quatre billets de 20$ et d'avoir un portefeuille vide. George Loewenstein, spécialiste de neuro-économie à l'Université Carnegie-Mellon, soutient que la nature des cartes de crédit «fait en sorte que le cerveau est anesthésié contre la douleur du paiement».

Les géants du crédit l'ont compris. L'an dernier, les compagnies de cartes de crédit ont envoyé 5,3 milliards de prospectus par la poste aux États-Unis, une moyenne de 15 par adulte.

Les Américains utilisent leurs cartes de crédit pour rénover leur maison, acheter une voiture, payer les frais de scolarité de leurs enfants. Aujourd'hui, la famille américaine moyenne a 9000$ de dettes en cartes de crédit. Et la plupart paient des frais importants. En 2008, les consommateurs ont déboursé 17 milliards en pénalités.

(Si vous croyez que seuls les gens naïfs ou peu avisés se font prendre dans la spirale des dettes, lisez le texte «My Personal Credit Crisis» d'Edmund L. Andrews, qui paraîtra demain dans le New York Times Magazine. M. Andrews, un journaliste économique pour le Times, y raconte ses déboires avec les compagnies de cartes de crédit, qui lui demandaient 28% d'intérêt. «Je me sentais comme un consommateur de crack qui téléphonait à son revendeur», écrit-il.)

Des règles sévères établies par la Réserve fédérale pour limiter les hausses des taux d'intérêt des cartes de crédit entreront en vigueur en juillet 2010.

Or, le président veut des changements dès aujourd'hui et demande au Congrès d'adopter un projet de loi en ce sens. Une tâche difficile: plusieurs sénateurs démocrates sont réticents à placer des bâtons dans les roues des compagnies de crédit, qui craignent de voir leurs revenus chuter en période de difficultés économiques.

Qu'à cela ne tienne, M. Obama fait pression pour que la loi soit adoptée avant la fin du mois. S'il gagne son pari, les taux seront limités à 15% et les frais arbitraires seront abolis.

Durant une rencontre publique au Nouveau-Mexique, cette semaine, le président était accompagné d'une résidante locale, Christine Lardner, une mère de famille qui a vu le taux d'intérêt de sa carte passer à 30% après une transaction faite par erreur et qui a dépassé sa limite de crédit.

«La compagnie a dit qu'elle était parfaitement dans son droit de hausser notre taux, a dit Mme Lardner. Augmenter mon taux d'intérêt à 30% est abusif et corrompu. Les pratiques comme celle-là sont peut-être légales, mais elles sont éthiquement indéfendables.»

 

QUELQUES CHIFFRES

> Dette totale des cartes de crédit aux États-Unis: 963 milliards.

> Les dettes de cartes de crédit ont grimpé de 25% depuis 10 ans.

> Un détenteur de carte sur cinq paie un taux d'intérêt de plus de 20%.

Source: Documents de la Maison-Blanche.