«Nous ne gagnerons rien si nous consacrons notre temps et notre énergie à distribuer les blâmes pour les actions passées.»

Cette déclaration du président Barack Obama date de quatre mois à peine. Son administration venait de rendre publics les fameux mémos autorisant les agents de la CIA à recourir à certaines techniques de torture, dont la simulation de noyade, dans les interrogatoires de présumés terroristes.

 

Devant ces révélations, Barack Obama avait adopté une attitude ferme: son administration allait cesser les pratiques controversées. Mais en même temps, elle préférait tourner la page plutôt que de s'engluer dans un long examen judiciaire aux retombées politiques imprévisibles.

C'est cette stratégie qui a volé en éclats, hier, lorsque le ministère de la Justice a annoncé qu'il ferait enquête sur les méthodes d'interrogatoire de la CIA. Le président n'a pas commenté. Il s'est contenté d'indiquer qu'il laissait la décision entre les mains de son ministre, Eric Holder. Ça montre à quel point le dossier est délicat.

Il faut dire que l'administration Obama n'avait probablement pas le choix. L'annonce de l'enquête, qui pourrait conduire à des poursuites criminelles, coïncide avec la publication du rapport du vérificateur interne de la CIA qui détaille les méthodes de travail des enquêteurs de l'agence.

Le rapport date de 2004. On y découvre la panoplie de moyens utilisés par les agents de la CIA pour faire parler les prisonniers soupçonnés de terrorisme. Ils ont menacé un détenu de tuer ses enfants. Ils ont simulé des exécutions pour faire croire à un prisonnier qu'il pourrait être tué. Ils ont menacé un suspect avec une perceuse électrique et frotté un autre avec une brosse dure. Dans tous les cas de figure, il s'agit d'actes criminels graves, a souligné hier l'organisation Human Rights Watch.

Déjà en avril, après l'affaire des mémos, l'administration Obama s'était attiré beaucoup de critiques pour sa retenue. Le New York Times, traditionnellement sympathique au président, l'avait fustigé en éditorial en le sommant de «s'engager sur la voie de la reddition de comptes». Avec les nouvelles révélations, la pression devenait trop forte.

Il reste que Barack Obama marche en terrain miné. L'enquête annoncée hier pourrait marquer un «tournant dans sa présidence», croit l'historien Gil Troy. Selon lui, la majorité des Américains n'ont pas envie de passer des mois à disséquer publiquement les excès de la lutte antiterroriste. Paradoxalement, cette exposition des péchés capitaux de l'ère Bush pourrait donc faire boomerang et revenir contre son successeur.

La CIA a connu des heures sombres dans les années 70, lorsque la commission Church avait mis au jour ses tentatives pour assassiner Fidel Castro, rappelle le politologue Louis Balthazar.

L'enquête annoncée hier pourrait conduire, en bout de piste, à un exercice semblable. Mais Barack Obama risque de se faire reprocher d'avoir affaibli l'agence de renseignement américaine. Bref, si elle constitue une excellente nouvelle pour la justice, elle relève plutôt de la «patate chaude» pour un président qui manoeuvre péniblement pour préserver ses appuis, sur sa droite comme sur sa gauche.

D'ailleurs, s'il avait fermé la porte à une enquête, Barack Obama aurait cette fois risqué de se mettre à dos les défenseurs des droits de la personne, qui forment son électorat habituel.

Dans un communiqué publié hier, Human Rights Watch rappelle avoir recueilli de l'information sur quelque 350 cas de détenus victimes de mauvais traitements en Irak et en Afghanistan. «Pas un seul agent de la CIA n'a été tenu responsable de ces actes», dénonce l'organisation.

L'administration Obama semble avoir décidé que cette ère d'impunité tire à sa fin. Reste à savoir si l'enquête se limitera aux simples agents qui brandissaient leur perceuse ou laissaient des détenus tout nus dans le froid ou si elle remontera jusqu'à ceux qui leur donnaient des ordres. Pour l'instant, ce n'est pas clair.

Reste aussi à savoir quelles seront les conséquences politiques de cet exercice que Barack Obama aurait préféré éviter.