Vladimir Lénine. Joseph Staline. Adolf Hitler. Fidel Castro. Qu'obtient-on si l'on additionne ces quatre personnages ? Si l'on se fie à l'une des pancartes brandies lors de la manifestation qui a attiré des dizaines de milliers de personnes samedi à Washington, la bonne réponse est : Barack Obama.

«Si vous n'avez pas peur, c'est que vous ne faites pas attention à ce qui se passe», pouvait-on également lire sur cette affiche ornée des photos du président américain et des quatre chefs d'État totalitaire.

Tous les manifestants de Washington ne partageaient pas cette hantise de Barack Obama. En scandant «assez, assez» dans Pennsylvania Avenue, plusieurs d'entre eux voulaient exprimer leur opposition à l'expansion du pouvoir fédéral, qui aurait commencé avant l'arrivée du démocrate à la présidence. À leurs yeux, George W. Bush et les républicains du Congrès ont eux-mêmes abandonné la lutte des conservateurs et des libertaires contre le «trop d'État».

Mais la manifestation de Washington était aussi le point culminant d'une campagne de dénigrement dont Barack Obama fait les frais depuis plusieurs mois. En traitant le président de socialiste, de communiste, de fasciste et même de raciste, plusieurs protestataires reprenaient les accusations lancées par un des promoteurs de la manifestation, Glenn Beck, à son émission de télévision diffusée sur la chaîne Fox News.

Et c'est ainsi que la réforme de la santé proposée par Obama peut être associée selon eux aux idéologies les plus meurtrières de l'histoire. Que son projet de s'adresser aux élèves des écoles publiques peut être comparé à de l'endoctrinement à la Saddam Hussein ou à la Kim Jong-Il. Ou qu'un représentant républicain peut accuser le chef de la Maison-Blanche de mentir au cours d'un discours solennel devant le Congrès des États-Unis.

Obama n'est évidemment pas le premier président à susciter de vives réactions. Son prédécesseur, George W. Bush, a été franchement détesté par une bonne partie de la population. Mais il n'a pas suscité un tel vitriol au cours de sa première année à la Maison-Blanche. Et si des tenants de la gauche l'ont comparé à Hitler ou à l'antéchrist, ils n'ont pas été encouragés à le faire par les commentateurs les plus populaires de la radio et de la télévision, dont Rush Limbaugh et Beck.

Normal ou pas?

D'où la question : quelle est la véritable nature de la campagne anti-Obama? Certains observateurs, dont quelques conseillers du président, n'y voient rien d'anormal, estimant que la plupart des présidents démocrates soulèvent des réactions excessives au sein d'une certaine droite. Certains critiques de Bill Clinton, rappellent-ils, étaient prêts à croire le pire à son sujet, à savoir qu'il s'était livré au trafic de la cocaïne, qu'il avait été mêlé à la mort d'un de ses conseillers, Vince Foster, qu'il était un violeur en série, etc.

La légitimité des présidents démocrates Franklin Roosevelt et Harry Truman avait également été remise en question par des ultraconservateurs, qui les accusaient de socialisme ou de complicité avec les communistes.

Mais au moins une des commentatrices américaines les plus en vue, Maureen Dowd, du New York Times, a abandonné ce point de vue à la suite de la sortie du représentant républicain de Caroline du Sud, Joe Wilson, qui a créé un précédent la semaine dernière en traitant un président de menteur lors d'un discours devant le Congrès.

«J'ai hésité à admettre que la folie stridente de l'été - les efforts désespérés pour dépeindre notre premier président noir comme l'Autre, un étranger, socialiste, marxiste, raciste, nazi ; un sans-coeur qui débrancherait les personnes âgées; un serpent qui endoctrinerait les enfants - était liée à la race, a écrit Dowd dans sa chronique d'hier.

«J'étais plutôt d'accord avec quelques-uns des conseillers d'Obama, selon lesquels les présidents démocrates ont toujours provoqué une réaction écumante chez les paranos - du père Coughlin contre FDR à Joe McCarthy contre Truman, en passant par les John Birchers contre JFK et le vaste complot de la droite contre Bill Clinton. Mais l'insolence choquante de Wilson à l'égard de la fonction du président - aucun démocrate n'a jamais crié "menteur" à W. quand il utilisait de faux prétextes pour justifier la guerre en Irak - m'a convaincue : certaines personnes ne peuvent pas croire qu'un homme noir soit président et ne l'accepteront jamais.»

Voilà un débat dont on n'a pas entendu le dernier mot.