L'attribution du prix Nobel de la paix à Barack Obama, moins d'un an après son arrivée au pouvoir, est un choix controversé qui encourage des intentions plus qu'elle ne récompense des résultats, et risque de se retourner contre le président américain, estimaient vendredi des analystes.

«Le fait que cela arrive aussi tôt dans sa présidence, avant qu'aucune des choses qu'il a dit vouloir mettre en oeuvre au plan international n'ait été accomplie, va causer une certaine controverse», résume Dana Allin, spécialiste de la politique étrangère américaine à l'Institut international d'études stratégiques (IISS) de Londres. Estimant que M. Obama, 48 ans a créé un «nouveau climat dans la politique internationale», le comité Nobel a mis l'accent sur son multilatéralisme, ses efforts en matière de dénucléarisation, la main tendue au monde musulman ou encore son engagement contre le changement climatique.

Mais le choix d'un chef d'État entré en fonction seulement le 20 janvier et à qui ne peut encore être attribué aucune réelle percée est «inhabituel», concède le professeur Paul Rogers, consultant auprès du Oxford Research Group à Londres.

«En même temps, le prix Nobel de la Paix est très souvent décerné pour ce que vous pourriez appeler un processus, des choses en cours, plutôt que pour des réussites définitives», tempère M. Rogers, citant la désignation en 1993 de Nelson Mandela et Frederik De Klerk, après l'abolition de l'apartheid en Afrique du Sud mais avant les premières élections multiraciales.

Cette récompense est «vraiment vue comme un encouragement aux changements que, selon le comité Nobel, Obama a amené dans les relations internationales, même aussi tôt dans sa présidence», estime-t-il.

Au crédit du président américain, M. Rogers porte sa volonté, affirmée à Prague en avril, de parvenir à un «monde sans armes nucléaires», sa décision de renoncer au bouclier anti-missiles en Europe de l'Est, ou encore sa proposition à la Russie d'accélérer les discussions sur le désarmement.

«Mais ça prête quand même à la controverse parce que c'est vraiment promouvoir ce qu'il cherche à faire plutôt que quoi que ce soit qu'il ait réussi à faire», admet-il.

Le rédacteur en chef adjoint du Wall Street Journal, Iain Martin, est beaucoup plus mordant. «C'est vraiment bizarre. Le président Barack Obama a remporté le prix Nobel de la Paix. Le pourquoi n'est pas très clair. Pour avoir fait la paix, en quelque sorte, avec Hillary Clinton?»

«C'est tellement post-moderne: un dirigeant peut maintenant remporter le prix (Nobel) de la Paix pour avoir dit qu'il espère amener la paix à un moment donné dans l'avenir. Il n'a pas à le faire en vrai, il doit juste y aspirer. C'est brillant», s'indigne-t-il.

Pour Dana Allin, si controverse il y a, elle «est à mettre sur le compte du comité Nobel, pas d'Obama». «Je peux imaginer que la Maison-Blanche puisse être inquiète», avance-t-il.

«Il y a certainement un risque que cela se retourne contre lui», approuve Paul Rogers. «Je m'attends à une très forte opposition à cette décision dans les cercles républicains aux États-Unis. Probablement moins dans les autres capitales occidentales, mais il va y avoir quelques haussements de sourcils.»

M. Rogers note cependant que l'attribution du Nobel de la Paix a déjà causé des controverses dans le passé, comme selon lui en 1973 avec Henry Kissinger et Lê Duc Tho, ou en 1994 avec Yasser Arafat, Shimon Peres, et Yitzhak Rabin.

«C'est un affront tacite à l'administration (George W.) Bush, à la fois en terme de sa réticence à négocier sur les questions nucléaires, son retrait du traité anti-missiles balistiques, et aussi de sa vision du monde islamique et du changement climatique», suggère M. Rogers.