Qui est le vrai ministre de l'Éducation de Barack Obama? Bill Gates. La boutade traduit aussi bien l'admiration que la méfiance suscitées par l'intervention de l'homme le plus riche du monde dans le système scolaire américain, à coups de millions de dollars de soutien à la réforme de fond lancée par le gouvernement démocrate.

La Bill & Melinda Gates Foundation de l'ex-patron de Microsoft et de son épouse était déjà de loin le principal argentier privé de ce programme, en distribuant quelque 200 millions de dollars annuels de bourses à l'éducation primaire et secondaire. Elle vient de franchir un nouveau pas en pesant directement sur la ventilation du budget fédéral sans précédent qu'a obtenu le président Obama pour réhabiliter l'école publique. Partant du constat général d'échec du système actuel, le chef de l'État a réussi à persuader le Congrès de consacrer 5 milliards de dollars de bourses à ce grand projet, dans le cadre du plan de relance économique des États-Unis. De son côté, la fondation Gates, qui se consacre à l'éducation, au développement et à la santé dans le monde, offre 250 000 dollars à chacun des États régionaux candidat à la réforme fédérale.

La réforme du système scolaire d'Obama prévoit entre autres de payer les enseignants en fonction des résultats des élèves, de standardiser l'évaluation des élèves, et de développer l'autonomie des établissements publics sur le modèle des «charter schools» sous contrat avec l'État. Le projet «Race to the Top» («La Course au sommet»), qui repose sur un système de bourses fédérales aux États et districts volontaires, se heurte cependant à de fortes résistances.

Les grands syndicats enseignants critiquent notamment le principe du salaire au mérite, l'évaluation de la réussite des élèves à la seule aune d'examens standardisés, et l'engouement pour les «charter schools». «Malgré des preuves de plus en plus nombreuses du contraire, le gouvernement a apparemment décidé que les «charter schools» étaient la réponse à tous les maux de l'école publique américaine», regrette le principal syndicat, la National Education Association. L'American Federation of Teachers est sur la même ligne.

Ces organisations représentent 4,6 millions d'adhérents aux États-Unis, mais la promesse des bourses publiques plus celles de la fondation Gates pourraient balayer les réticences des autorités locales à passer outre l'avis des enseignants.

Ce partenariat public-privé soulève pourtant des inquiétudes: certains soulignent qu'une fondation privée n'est pas tenue de divulguer le détail de ses dépenses, contrairement au gouvernement, quand d'autres craignent que la fondation ne perde sa liberté d'action.

«Quand vous marchez avec le gouvernement, vous compromettez votre capacité de critique de ce dernier, et parfois votre capacité à faire des choses controversées ou impopulaires avec votre argent», estime Chester Finn Jr., président du Thomas B. Fordham Institute, un institut de réflexion sur l'éducation notamment financé par la Gates Foundation.

Le secrétaire à l'Éducation, Arne Duncan, se félicite quant à lui du soutien de la Gates Foundation au plan du gouvernement fédéral. «Plus nombreux nous sommes à jouer le jeu de la réforme, plus nombreux nous sommes à militer pour une amélioration drastique, mieux c'est», s'enthousiasme-t-il dans un entretien avec l'Associated Press.

Autre signe de la communauté de vues entre l'administration et les Gates, deux membres de l'entourage du ministre ont travaillé pour la Fondation: sa chef de cabinet, Margot Rogers, et l'un de ses adjoints, James Shelton.

Bill Gates se défend pourtant d'être le partenaire du programme gouvernemental. «L'échec du système éducatif américain n'est pas un secret. Nous faisons toutes sortes d'expériences, et Race To The Top va en faire beaucoup d'autres aussi. Ce n'est pas une opération commune».

Initialement, affirme la responsable de l'éducation à la Fondation, Vicki Phillips, les bourses ont été proposées aux États et académies déjà partenaires de la fondation et qui partageaient ses objectifs, lesquels se trouvent avoir beaucoup en commun avec ceux du gouvernement Obama.

Les arguments de la Fondation Gates peuvent être d'autant plus convaincants que la récession étrangle les budgets des États régionaux et des municipalités, dans lesquels l'éducation est le plus gros poste (environ 35% du total). Nombre d'entre eux n'ont même plus les moyens de payer suffisamment d'enseignants ou de remplir les conditions nécessaires à la demande de bourse fédérale pour appliquer la réforme.

Dans le Minnesota, plus d'une dizaine d'employés du ministère régional de l'Éducation travaillent avec des conseillers d'un cabinet d'audit privé pour préparer la demande de bourse de cet Etat, grâce à une bourse de 250 000 dollars de la Fondation Gates, selon le porte-parole du ministère.