Que faire en Afghanistan? Une fuite dans la presse met à jour la division des conseillers de Barack Obama, dans l'attente de l'arbitrage du président américain sur l'envoi de troupes supplémentaires.

Karl Eikenberry, l'ambassadeur des États-Unis à Kaboul, a recommandé dans une note confidentielle de ne pas augmenter l'effort militaire tant que le président afghan Hamid Karzaï ne démontrerait pas sa capacité à mieux gouverner le pays. La substance de son mémorandum, révélée mercredi par le Washington Post, s'est répandue comme une traînée de poudre dans les médias.

Les informations glanées ces dernières semaines semblaient augurer que M. Obama annoncerait une augmentation des troupes comprise entre 10 000 et 40 000 soldats, le haut de la fourchette correspondant à la préconisation du général Stanley McChrystal, patron de la force internationale en Afghanistan.

La secrétaire d'État Hillary Clinton et le secrétaire à la Défense Robert Gates pencheraient pour engager 30.000 soldats en plus. Mais le vice-président Joe Biden et John Kerry, patron de la puissante Commission des Affaires étrangères du Sénat, se sont montrés jusqu'à présent nettement plus réservés.

Aux dernières nouvelles, le président demanderait à ses conseillers de sélectionner le meilleur de chacune des quatre options restant sur la table.

Mais le compromis s'annonce difficile. D'après le New York Times, le général McChrystal a ainsi qualifié l'idée de M. Eikenberry de stratégie de «l'hélicoptère sur le toit de l'ambassade».

L'image est célèbre aux États-Unis: c'est celle du départ en catastrophe des Américains lors de la chute de Saïgon en 1975, point final traumatisant de la guerre du Vietnam.

La tension entre ces deux stratèges est d'autant plus significative que M. Eikenberry n'est autre que le prédécesseur du général McChrystal au poste de commandant en chef américain en Afghanistan. Il n'a quitté l'uniforme que pour prendre ses fonctions diplomatiques à Kaboul en avril.

Robert Gates s'est dit «horrifié» jeudi par les fuites dans la presse. Le chef du Pentagone, au ton habituellement modéré, a affirmé avec vigueur que de telles fuites «ne rendaient pas service au pays» et ne sont pas dans l'intérêt de l'armée.

Mais la blogueuse Laura Rozen, spécialisée en politique étrangère, suggère que la Maison-Blanche pourrait exploiter ce différend public entre les généraux pour se dégager de la pression de l'armée en faveur d'une augmentation des troupes.

Le long processus d'évaluation en cours à la Maison-Blanche, explique de son côté à l'AFP l'analyste Malou Innocent du Cato institute, «fait remonter à la surface toutes les contradictions» de l'engagement en Afghanistan: ««Nous avons besoin d'un partenaire légitime, que nous n'avons pas. De plus, la stratégie de contre-insurrection réclame plus de troupes que nous ne pourrons jamais en envoyer, (et) un soutien de l'opinion qui est en train de disparaître».

Vendredi à Tokyo, Barack Obama a dit qu'il prendrait «bientôt» sa décision, promettant au passage de faire en sorte que les Américains comprennent «exactement ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons».

Quel que soit le choix du président, il devra éviter les compromis, recommande le stratège australien David Kilcullen.

«Le temps presse pour prendre une décision», a-t-il déclaré au quotidien britannique The Guardian: «Nous pouvons soit envoyer des troupes en nombre suffisant pour contrôler (le terrain), soit communiquer de façon crédible sur notre intention de partir. Mais couper la poire en deux n'est pas la bonne voie à suivre».