Passez quelque temps en Californie et vous aurez l'impression que la marijuana y est légale.

Les hebdomadaires gratuits l'annoncent. Les publicités à la radio en vantent les mérites. À Los Angeles seulement, on trouve près de 1000 points de vente. Ils sont identifiés par de grosses feuilles de pot en néon. Certaines sont illuminées jusqu'à tard dans la nuit.

Le système fonctionne comme suit: une visite chez un médecin sympathique à la cause vous permet d'avoir une permission de consommer de la marijuana. Certains patients ont des problèmes de santé légitimes; d'autres y vont simplement pour recevoir le feu vert. Les raisons invoquées n'ont pas à être très poussées: un mal de dos ou un problème d'insomnie suffisent.

 

L'État vous remettra ensuite une carte vous autorisant à acheter du cannabis à des fins médicales (un système réservé aux adultes). Vous voilà prêt à consommer de la marijuana cultivée légalement et taxée par le gouvernement, un programme approuvé par les électeurs en 1996, et qui fleurit aux quatre coins de l'État depuis.

Sean, un graphiste de 27 ans qui habite dans l'ouest de L.A., possède sa carte depuis trois ans. Il dit l'avoir obtenue après une longue discussion avec un médecin, à qui il a fait part de ses épisodes d'insomnie.

«Le pot m'aide à dormir, pas de doute là-dessus, dit Sean, qui ne veut pas que son nom de famille figure dans le journal, et peut-être sur l'internet. Mais est-ce que je fume du pot seulement pour traiter l'insomnie? Non. Pour moi, c'est avant tout une drogue récréative.»

Au fil des années, Sean est devenu un client régulier de la boutique Farmacy, un dispensaire de cannabis situé sur l'éclectique boulevard Abbot Kinney, dans le quartier Venice.

Farmacy est une boutique aux allures modernes, au mobilier sobre, située près d'un des restaurants les plus chic en ville. On y trouve des herbes médicinales et du thé, entre autres. Mais c'est surtout pour la marijuana, et les produits dérivés, que les clients s'y déplacent. Le cannabis est conservé dans des pots en verre, présentés avec soin dans un comptoir qui rappelle les présentoirs de bijoux dans les magasins à grande surface.

«Les employés sont super, explique Sean. Ils me conseillent sur les nouveaux arrivages, les bonnes affaires du mois. Parfois, j'ai l'impression d'être en train d'acheter du vin. C'est très semblable comme expérience.»

Légalisation complète?

Les propriétaires de dispensaires de cannabis respirent mieux depuis que l'administration Obama a fait savoir l'été dernier qu'elle n'entendait pas faire de descentes dans les établissements qui respectent les lois de l'État.

Plusieurs militants californiens veulent maintenant passer à la prochaine étape: légaliser la production et la vente de marijuana, une plante dont la culture illégale la place, selon les experts, au premier rang des récoltes de l'État.

Arnold Schwarzenegger s'est dit ouvert à l'idée «de lancer un débat». Les sondages montrent qu'une faible majorité de Californiens sont en faveur de la légalisation. Sur le plan national, les appuis à la légalisation n'ont jamais été aussi élevés en 40 ans: 44% des Américains sont en faveur, une hausse de 13% depuis le début des années 2000.

Le mois dernier, l'Assemblée de la Californie a entrepris le débat sur la proposition AB 390, qui vise à légaliser la culture et la vente du cannabis. Les élus ont débattu durant trois heures, sans parvenir à un consensus. Le projet de loi sera à nouveau entendu en janvier.

Récemment, CNN a calculé que la Californie pourrait toucher 1 milliard de dollars annuellement en taxes perçues sur la vente et la culture du cannabis.

Le lancement du débat ne signifie pas pour autant que les policiers ont cessé de faire appliquer la loi. En 2008, plus de 78 000 personnes ont été arrêtées en Californie pour des infractions liées au cannabis.

Nuire aux cartels

Un des effets de la légalisation serait d'affaiblir les cartels mexicains, qui contrôlent le trafic, et qui maintiennent un climat de terreur dans les régions frontalières. Ces dernières années, la narcoviolence a, en pratique, décimé l'industrie touristique dans le nord du Mexique.

Selon William Martin, professeur de sociologie à l'Université Rice, et observateur de longue date de la guerre contre la drogue, la légalisation nuirait aux gangs de trafiquants, pour qui la marijuana représente la moitié des revenus.

«Si vous leur enlevez la moitié de leur argent, vous allez leur faire mal, a-t-il dit récemment dans un colloque sur la question à El Paso, au Texas. Vous ne briserez pas leur empire, mais vous allez leur faire mal, c'est certain.»

 

La guerre contre les drogues en chiffres

320 milliards

En dollars, le marché mondial des drogues illicites par année.

208 millions

Le nombre d'adeptes de drogues illicites, dont 166 millions d'amateurs de cannabis.

40 milliards

Somme consacrée annuellement par les États-Unis à la lutte contre les narcotiques.

1,5 million

Nombre de personnes arrêtées chaque année aux États-Unis pour des crimes reliés au trafic ou à la consommation de drogue.