Aux États-Unis, certains obèses en ont ras le bol d'être constamment montrés du doigt pour leur tour de taille. Se considérant comme des victimes de la guerre contre l'obésité, ils ont décidé de se rebeller.

Deb Malkin est grosse et fière de l'être. Les mots «obèse» ou «surpoids», très peu pour elle. «Les maigres ne disent pas qu'elles sont en «sous-poids», et le mot «obèse» appartient au monde médical. Je ne veux pas être vue à travers une lunette médicale», plaide la ronde propriétaire de Re/Dress, première boutique de vêtements d'époque de grande taille à New York.

 

À ses yeux, le poids d'une personne est devenu une nouvelle cause de discrimination au même titre que la race ou l'orientation sexuelle. Et comme certains Noirs qui se sont réapproprié le mot «nègre» ou certains gais qui ont repris le terme queer, certains gros revendiquent aujourd'hui avec fierté le mot fat, (gras). «Il y a quelque chose d'un peu scandaleux à faire ça», se félicite Deb Malkin.

Sans se décrire comme une militante, cette sympathique blonde fait partie des gens qui refusent d'être victimes d'ostracisme pour leur tour de taille. Selon eux, les États-Unis sont devenus une société qui a la «phobie des gros». Où les gros ont remplacé les fumeurs comme nouveau punching-ball national. Contrairement au discours traditionnel, ils soutiennent qu'on peut être gros, heureux et en santé.

Obsession de la minceur

Vendredi dernier, Deb Malkin a ainsi accueilli dans sa boutique de Brooklyn quelques-uns des 53 auteurs du livre The Fat Studies Reader (NYU Press). Devant une quarantaine de personnes, ils ont lu des passages de ce nouveau livre qui pourrait bien devenir la bible du «mouvement de libération des gros».

Tirant à boulets rouges sur l'industrie des régimes et l'obsession de la minceur, cet ouvrage se présente comme la première anthologie des Fat Studies (études des gros), un domaine de recherche en pleine croissance aux États-Unis.

Pour ses partisans, les Fat Studies se définissent surtout par ce qu'elles ne sont pas. «Si vous pensez que les personnes grosses peuvent (et doivent) perdre du poids, alors vous ne faites pas partie des Fat Studies, vous faites partie de l'industrie du régime, qui rapporte 58,6 milliards de dollars par an», écrit en introduction la militante Marilyn Wann.

Combattre les préjugés

Pour Esther Rothblum, qui a coordonné la réalisation de cet ouvrage avec Sondra Solovay, la lutte contre l'obésité est devenue une obsession maladive aux États-Unis. Une obsession qu'elle associe aux «énormes profits des industries pharmaceutique et médicale autour de la question du poids».

Au lieu des 1001 régimes qui existent sur le marché - inefficaces dans 90, voire 95% des cas, selon ses sources -, Esther Rothblum plaide pour une nouvelle approche: «La santé à chaque taille.»

Et puis, plutôt que de changer le corps des gens, soutient-elle, il faudrait essayer de changer les mentalités et de combattre les préjugés. Elle rappelle ainsi que, dans un sondage réalisé en 2005, 93% des professionnels en ressources humaines britanniques ont dit que, à compétence égale, ils préféreraient embaucher une personne de «poids normal» plutôt qu'une grosse.

Naturellement, ce discours à contre-courant fait des vagues. Le livre a notamment été refusé par les Presses de l'Université Harvard parce qu'il «semblait minimiser les risques de l'obésité pour la santé». «Nous avons reçu des tonnes de commentaires hostiles, dit Esther Rothblum. Parfois, j'ai l'impression que j'essaie de légaliser l'héroïne!»

 

Des millions de nouveaux gros

Du jour au lendemain, des millions d'Américains qui avaient un poids normal se sont retrouvés avec un excès de poids en 1998. La raison? Les National Institutes for Health ont décidé cette année-là de modifier les valeurs de l'indice de masse corporelle (IMC), obtenu en fonction du poids et de la taille d'un individu. Jusque-là, 85% des Américains avaient un IMC jugé convenable. Soudainement, plus de 50% sont devenus soit obèses (un IMC de plus de 30) soit en surpoids (un IMC de plus de 25). Cette modification est d'autant plus contestée qu'une étude réalisée en 2005 a révélé que les individus qui ont un léger excès de poids (IMC de plus de 25) ont un taux de mortalité moins élevé que ceux qui ont un IMC jugé idéal (entre 18,5 et 25).